Le jour où... La France a joué avec un maillot vert en Coupe du Monde
Par Kristen Collie
Ce 10 juin 1978 aurait dû passer inaperçu. Logiquement éliminée du Mondial argentin après deux défaites initiales, en phase de poules, face aux redoutables Italiens et à l'Albiceleste de Mario Kempes, cette Équipe de France est pourtant entrée dans la légende. La faute à un maillot de "pêcheurs" argentins, porté face à la Hongrie lors du dernier match de groupe.
"French white", lance le milieu français Henri Michel. "No, Hungarians white", rétorque un de ses adversaires hongrois du jour, Andràs Torocsik. Non, ce n'est pas le début d'une pièce de Shakespeare, mais bien les prémices d'une des plus mémorables anecdotes du sport français.
Un match "pour du beurre"
Rien ne prédestinait ces Bleus à entrer dans la légende, malgré une belle génération menée par le regretté Michel Hidalgo et incarnée par le prodige de l'AS Nancy Lorraine, Michel Platini.
Battue avec les honneurs face à l'Italie (2-1) la France échoue à nouveau de peu face au pays hôte et futur lauréat, l'Argentine. En parallèle, la Hongrie affiche le même bilan. On se dirige donc naturellement vers un dernier match de groupe sans enjeu, "pour du beurre" comme on le qualifiait à l'époque.
Même s'il s'agit d'une rencontre de Coupe du Monde, ce match est dénué d'intérêt. La nation magyare, en éternelle quête de sa gloire passée, ne peut plus se targuer d'aligner les légendaires Puskas et Kocsis en attaque, alors que Michel Hidalgo décide, à juste titre, de faire tourner son effectif afin de récompenser ses remplaçants. Un match sans histoire, tout simplement.
Et pourtant.
Un jeu de maillot de "pêcheurs"
En ce 10 juin 1978, sous un soleil de feu à Mar del Plata, ville côtière située au sud-est de la capitale argentine, l'imbroglio débute à l'échauffement. Henri Michel, futur sélectionneur des Bleus de 1984 à 1988 et remplaçant au cours ce match, perçoit un col blanc dépassé du survêtement des Hongrois.
Les dirigeants français prennent alors conscience de leur erreur : les Bleus ne devaient pas jouer en blanc. La révélation faite, il faut rapidement trouver une solution. Problème, le jeu de maillot bleu est resté au QG de l'Équipe de France à Buenos Aires... à plus de 400 kilomètres de Mar del Plata.
À l'heure du coup d'envoi, aucune équipe ne se présente. Le public siffle, la tension monte mais impossible pour les tricolores de jouer torse nu. Une voie sans issue ? Non. Dans la précipitation la plus totale, des membres du staff reviennent avec un jeu de maillot rayé vert et blanc.
Ces tuniques, faisant pâlir n'importe quelle équipe de district, ont été empruntées à un club local, l'Atlético Kimberley. Fondé en 1921, ce club au prestige limité est associé aux pêcheurs de la ville balnéaire de Mar del Plata.
L'élégant Michel Platini avec un maillot de pêcheurs lors d'un match de Coupe du Monde, on ne pouvait l'inventer. Spoil : il avait toujours un flow incroyable (voir plus haut).
"Kimberley en la Copa Del Mundo !"
Le match peut alors débuter avec trois quarts d'heure de retard. À l'entrée des joueurs, la stupéfaction gagne les travées. En Métropole, les médias diffusant le match sont partagés entre éclats de rire et consternation :
Oui vous êtes dans doute surpris de ne pas reconnaître les couleurs habituelles de l'Équipe de France. Cette métamorphose est due à un malentendu rarissime à ce niveau", résume Dominique Duvauchelle sur Antenne 2.
Dans un stade à moitié vide, un brouhaha sort des tribunes :
"Es la camiseta de Kimberley ! Kimberley en la Copa del Mundo" ("C'est le maillot de Kimberley ! Kimberley est à la Coupe du Monde !"), s'exclame le public argentin.
D'un match initialement sans intérêt, une véritable ferveur s'empare de l'Estadio José Maria Minella. Grâce à cette nouvelle tunique, la France se retrouve à jouer à domicile, à plus de 11 500 kilomètres de chez elle.
Pour couronner le tout, "L'Athlétique club de Kimberley" bat la Hongrie 3-1 grâce à des réalisations de Lopez (23'), Berdoll (38') et un Dominique Rocheteau (42') transcendé avec ce maillot vert, semblable à celui qu'il porte en club avec l'AS Saint-Etienne.
À défaut de porter fièrement leurs couleurs, les Bleus ont rendu fiers toute une ville en arborant le vert et blanc du club local, faisant la Une de tous les journaux argentins et internationaux.
À qui la faute ?
Dès lors, on se demande comment une telle étourderie a pu se produire et qui en est le responsable. Le lendemain du match, l'intendant des Bleus, Henri Patrelle, clôt le débat, non sans humour :
« C'est de ma faute. Entièrement de ma faute. La France devait effectivement jouer en bleu. C'est un regrettable incident, dont je suis l'unique responsable. Au moins, on ne pourra pas me pénaliser en amputant une partie de mon salaire, puisque je suis bénévole... »
Merci M. Patrelle pour ce moment légendaire.