Championnat disparus (4/5) : La Gauliga et le spectre du régime nazi
Par Alexandre Roux
Quel est le point commun entre la Ligue 1 et la Gauliga ? Contrairement aux autres ligues majeurs du Vieux Continent, ces deux championnats ne reprendront pas. Grosse différence cependant : c'est à cause de décisions politiques pour la L1, alors que la Gauliga... n'existe tout simplement plus depuis 1945 !
"Gagner un match est plus important pour le peuple que la prise d'une ville à l'Est." Ces mots prononcés par Joseph Goebbels à Adolf Hitler traduisent le désintérêt du dictateur pour le football. Néanmoins, son parti nazi a pris possession de tout ce qu'il se passait en Allemagne, dès son arrivée au pouvoir, en février 1933. Dans les heures les plus sombres que le monde ait connues, le football a ainsi survécu, contraint et forcé.
Création : Par et pour le Troisième Reich
Parce que le ballon rond, comme toute activité sportive, était en effet une formidable occasion de faire de la propagande. Hitler a donc rapidement instauré "son" championnat. En à peine deux mois, il a eu le temps de démanteler toutes ligues et fédérations de football pré-Troisième Reich et a mis de nouveaux hommes à la tête de son organigramme sportif.
Son idée première fut de créer une Reichliga, un championnat unifié comme cela se fait aujourd'hui. Une réunion en ce sens devait se tenir fin mai 1933. Mais cela imposait la création d'un statut de professionnel aux joueurs, ce qui allait à l'encontre de l'idéologie nazie. Le projet a donc été avorté et le principe de championnats régionaux a finalement été conservé, appliqué au fonctionnement politique de l'époque.
16 territoires, nommés Gaue (traduisible par "Région") accueillaient ainsi chacun leur Liga (traduisible par "Ligue"). Ils étaient regroupés en quatre groupes de quatre et un championnat était joué afin de définir un vainqueur dans chaque groupe. Les quatre finalistes se retrouvaient enfin à Berlin pour sacrer le champion national. Tous clubs ayant de fortes connexions avec la communauté juive fut fortement persécutés. Les étrangers n'étaient autorisés à jouer que s'ils se soumettaient au régime nazi, levant notamment le bras avant les rencontres.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale a démarré, en 1939, de très nombreux joueurs ont intégré les rangs de l'armée allemande. Les Gaue ont été subdivisés pour limiter les déplacements. En 1942, le conflit entraîna l'abandon du fonctionnement en championnat pour laisser place à de simples rencontres à élimination directe entre chaque champions des Gaue.
La saison 1944-1945 fut la dernière des Gauliga. Et encore, elle n'a pas été joué entièrement à cause de la capitulation du régime nazi le 8 mai 1945.
Équipe : Le FC Mülhausen 1893, club français champion en Allemagne
Avec l'annexion de l'Alsace et la Lorraine en 1940, le Troisième Reich a implanté un Gaue en France. Une Gauliga Elsass (= Alsace) a donc été instaurée, en juillet, et l'ensemble des clubs français de la région ont dû se renommer. Le FC Mulhouse, l'un des premiers clubs professionnels dans cette région, s'est ainsi germanisé en FC Mülhausen 1893.
La première saison s'est jouée avec deux groupes de huit équipes, tandis que les trois suivantes ont connu une poule unique de douze clubs. Et sur ces quatre exercices, le FCM en a remporté trois. En 1940-1941, il a battu le Rasen SC Strasbourg (aujourd'hui RC Strasbourg) lors de la finale entre champions de poules (4-3 score cumulé). En 1942-1943, il n'a devancé qu'à la différence de buts le RSCS dans la poule unique. Et en 1943-1944, alors que de très nombreux joueurs alsaciens ont été enrôlés de force dans l'armée allemande, Mulhouse s'est encore imposé, devançant de onze points son dauphin, le SG SS Strasbourg (aujourd'hui Red Star Strasbourg).
Cette dernière saison dans le championnat allemand aura d'ailleurs été la plus épique. Qualifiés pour les phases finales nationales, les joueurs du FCM ont en effet disputé un 16e de finale épique contre les Kickers Offenbach. Dans un match très âpre physiquement, Mulhouse a tenu tête en première mi-temps (3-2). La rencontre aurait pu basculer avec l'obtention d'un penalty pour Offenbach, mais René Heitz, 18 ans seulement, a détourné la frappe de son adversaire avant qu'Eugène Hartmann n'ait scellé la victoire française (4-2).
Au tour suivant, le FCM a retrouvé Sarrebruck, qui l'avait éliminé en 16e de finale la saison précédente. La rencontre fut spectaculaire, mais perdue à nouveau (3-5). Ce résultat a tout de même été le meilleur au plus haut niveau allemand durant la guerre.
Match : Le grand Schalke 04 rattrapé par un club autrichien
Le club qui a réellement dominé le football à cette époque s'est nommé FC Schalke 04. Dès la fin des années 20, l'équipe de Gelsenkirchen avait vu les succès arriver avec une tactique révolutionnaire pour l'époque. Elle a joui, par ailleurs, d'une popularité sans précédent et Hitler l'a donc choisi pour représenter sa "Nouvelle Allemagne".
S04 a remporté le titre chaque saison dans sa Gauliga Westfalen, en ne perdant que six des 189 matchs qu'il a disputé ! En ajoutant les phases finales, plus de 900 buts ont été marqués pour moins de 180 concédés. Le point d'orgue de cette outrageuse domination a été la finale nationale en 1939, face à l'Admira Vienne (9-0) devant plus de 100.000 personnes. Mais sa plus grande défaite est survenue deux ans plus tard.
Après un nouveau titre en 1940, Schalke était à nouveau en finale nationale lors de la saison 1940-1941. Une autre équipe autrichienne, le Rapid Vienne, s'est dressée devant eux. Hitler était favorable à une victoire d'une équipe de son pays natal (Autriche), mais la rencontre n'a pas tourné dans ce sens au départ. Après une heure de jeu, le club de la Ruhr menait en effet largement (3-0) grâce à un doublé de Heinz Hinz notamment. Mais le cours de la rencontre s'est brutalement renversé. En très exactement dix minutes, Georg Schors a marqué un but, puis Franz Binder s'est offert un triplé pour permettre à Vienne de s'imposer !
De nombreuses théories ont émané de ce résultat. D'un côté, l'idée d'une rencontre truquée, afin d'offrir un titre au club autrichien et favoriser la propagande dans cette région, a été évoquée. À l'inverse, une rumeur, comme quoi les joueurs de Vienne ont été envoyés au front directement après leur victoire sur le sol allemand, est également sortie. Deux hypothèses démenties par le Rapid, lui-même, après des recherches internes menées en 2009.
Palmarès : Peu de partage dans le Troisième Reich
Malgré cette défaite, Schalke 04 présente tout de même un palmarès exceptionnel au niveau national. Ils ont en effet remporté six des onze titres mis en jeu (1934, 1935, 1937, 1939, 1940, 1942), s'inclinant par ailleurs deux fois en finale, face à Hanovre (1938) et donc le Rapid Vienne (1941).
Le FC Nuremberg s'est lui imposé une fois (1936) alors que les deux derniers titres sont revenus au Dresdner SC (1943, 1944).
À l'image de S04, quelques équipes ont survolé leur Gauliga respective. Le FC Nuremberg a, par exemple, remporté sept titres en Gauliga Bayern. Le SV Dessau 05 a, lui, remporté six titres en huit saisons entre 1937 et 1944 dans la Gauliga Mitte.
Eimsbütteler TV et le Hambourg SV ont livré une belle bataille dans la Gauliga Nordmark. En neuf saisons, les premiers, qui évoluent aujourd'hui en 6e division, ont remporté cinq titres et fini trois fois deuxièmes tandis qu'Hambourg, qui jouent en deuxième division aujourd'hui, a glané quatre trophées et quatre place de dauphin.
Ce pan de l'histoire du football allemand n'est pas une source de fierté. Le sport passait largement au second plan à cette époque. Il ne faut pas l'occulter pour autant, afin de comprendre et ne pas refaire ces erreurs aujourd'hui.