Championnats disparus (3/5) : Le Championnat de France USFSA, l'ancêtre de la Ligue 1

Quel est le point commun entre la Ligue 1 et ce championnat ancestral ? Contrairement à la Bundesliga il y a un mois, à la Liga le week-end dernier ou encore la Premier League cette semaine, ces championnats ne reprendront pas. Grosse différence cependant : c'est à cause de décisions politiques pour la L1, alors que le championnat de France USFSA... n'existe tout simplement plus depuis 1919 !

"On ne fait rien pour intéresser le public au jeu de football. Il faut être pratiquant ou très initié au règle de ce sport pour comprendre quelque chose à ce qui se passe sur le terrain." Ces mots du journaliste Gustave de Lafreté en 1899 expriment bien le peu de valeur accorder au ballon rond à la fin du XIXe siècle par la Fédération, qui gère pourtant le championnat de France depuis six ans...

Création : Une guerre pour s'approprier un sport "amateur"

Simplement désireuse d'avoir le monopole sur quelconque activité sportive pratiquée en France, l'USFSA (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlètiques), fédération multi-sports créée par deux clubs d'athlétisme (Racing Club de France et Stade Français), avait en effet lancer un championnat de football en 1893.

Taper dans un ballon rond devenait une activité de plus en plus populaire à Paris, avec une petite dizaine de clubs qui s'y mettent sérieusement. Mais l'USFSA voyait cette activité d'un mauvais œil, réservée à une élite, trop rapidement professionnalisée outre-Manche. Tout le contraire de son cher rugby en fait. Alors, lorsqu'elle a cédé, l'instance a confié la mission de gérer le tout premier championnat de France de football à sa commission en charge... du rugby.

Les deux premières éditions se jouent dans un format coupe à élimination directe, entre six équipes toutes venues de la région parisienne. En 1895, sous l'impulsion de l'Anglais Neuville Tunmer, un réel championnat est mis en place. Neuf équipes s'affrontent, une seule fois, sur terrain neutre. Et toujours sans club hors de Paris, qui ne feront leur apparition qu'en 1898, soit deux ans après celle de... la deuxième division.

Malgré l'extrême essor du football en France, l'USFSA ne veut pas entendre parler de professionnalisme. Des ligues régionales sont ainsi organisées et les champions de chacune d'entre-elles se retrouvent à Paris en fin d'année pour disputer un nouveau championnat, réorganisé dans un format "coupe", servant à désigner le champion de France. La formule regroupe trois formations en 1901, neuf en 1903 puis carrément 18 en 1908 !

Cette saison est d'ailleurs la première où les joueurs disposent du statut de professionnel. L'USFSA a en effet dû céder sur ce point, puisque de plus en plus de clubs payaient illégalement des joueurs (comme dans The English Game, tout à fait). L'instance s'est ainsi liée avec la dissidente FSAPF qui organisait un contre championnat depuis plusieurs saisons.

Une véritable guerre d'influence et de Fédérations a ensuite lieu en France et des rassemblements de plus en plus importants se font entre différents clubs ou associations. Une vraie guerre arrive ensuite, la Première Guerre Mondiale, et aucun championnat de France USFSA n'est ainsi organisé de 1914 à 1918. L'instance réorganisera une saison en 1919, mais en fin d'année, la FFFA (aujourd'hui nommée FFF) est créée en regroupant toutes les fédérations proposant du football afin de mettre sur pied un unique championnat de France.

Match : Le Havre AC-Iris Club Lillois, arrêté... par des hockeyeurs sur gazon !

L'ouverture du championnat aux clubs de Province a rapidement mis fin à l'hégémonie parisienne. Dès la première saison, en fait, et dans un scénario rocambolesque. En 1899, l'Iris Club Lillois et Le Havre AC sont ainsi invités à s'affronter lors d'un "premier tour" dont le vainqueur jouera face au champion de Paris pour le titre national. La rencontre est fixée au 19 février 1899, mais elle n'est jamais jouée entièrement.

Les deux formations se sont bien présentées au Parc des Princes, à l'heure. Sauf que... personne n'a apporté de ballon ! Un cuir est finalement trouvé au bout d'une heure et la première mi-temps peut enfin se lancer à 14h45. Sauf que... un match de hockey sur gazon est prévu sur le stade à 15h ! Ce qui semble inimaginable aujourd'hui se produit alors :

""Il est inutile de faire un compte-rendu de cette rencontre manquée aboutissant à un désastreux résultat. [...] Quand le match commencera, les joueurs de hockey du RCF et du HCP, qui devaient disputer un match de championnat, viendront réclamer la pelouse et, à la mi-temps, ils s'en empareront. D'aucuns les ont accusés d'égoïsme et de mauvaise camaraderie.""

- Extrait de La Presse, 20 février 1899

Le Havre menait à priori largement les débats, et était devant au score (1-0). Mais les deux équipes n'ont donc jamais repris cette rencontre. Tout le monde s'est finalement retrouvé le 25 mars suivant pour retenter leur chance. Sauf que... Lille ne s'est pas présenté ! La presse croît savoir qu'une épidémie de grippe a touché de nombreux Nordistes, les obligeant à déclarer forfait. Le Havre est ainsi qualifié pour la finale... qu'ils n'ont pas joué non-plus !

Le Club Français, champion de Paris et théorique adversaire des Havrais, dénonce en effet une qualification imméritée en finale du championnat de France. Ils refusent de jouer un titre national contre une formation n'ayant pas joué un match officiel sur l'année, alors qu'eux ont dû en passer par le championnat de Paris. Une requête qui s'entend, mais qui n'arrivera pas jusqu'aux oreilles de l'USFSA. Le CF est déclaré forfait et Le Havre AC champion donc... sans avoir joué le moindre match !

Equipe : Le Stade Helvétique, ou quand des Suisses deviennent champion de France !

Pendant de nombreuses années, seules les clubs normands et nordistes viennent concurrencer les équipes de la Capitale. Mais en 1908, le Sud entre dans la danse. Notamment les sudistes helvetico-germaniques...

La Ligue du Littoral prend en effet de l'ampleur après la fondation du Stade Helvétique par l'importante communauté suisse installée à Marseille. Le club, qui joue en jaune et bleu, concurrence rapidement l'historique Olympique de Marseille, champion régional tous les ans depuis sa création en 1900. Pour sa première saison, le SH bat l'OM lors du match retour, ce qui est la première défaite de l'histoire des Olympiens en championnat Littoral !

La saison suivante est celle de l'avènement. Les Helvètiques dominent en effet le championnat régional, comme ils le feront tous les ans jusqu'à la Première Guerre Mondiale. Leur bilan sur ces six années de règne est exceptionnel : 35 victoires, 4 nuls, 0 défaite ! Ces titres leur permettent de participer à la phase finale du championnat de France, qu'ils remporteront à trois reprises (1909, 1911, 1913). Ce qui froissera quelque peu les clubs parisiens et la presse...

La présence massive d'étrangers parmi les joueurs est en effet déplorée. Lors des deux premiers titres, la majeure partie de l'effectif est suisse, le reste britannique. Lors du dernier, seuls deux Français font partie du Onze qui s'impose face au FC Rouen, majoritairement composé d'Anglais. De quoi rendre encore plus aigri la presse, comme La Vie au grand air, qui titra "Des étrangers battent des étrangers."

Palmarès : Trois époques, trois équipes dominantes

Au départ, le championnat de France est une affaire de Parisiens. Enfin, de joueurs anglais regroupés dans des clubs à Paris. Et à ce petit-jeu là, c'est le Standard AC qui s'est montré le plus fort en remportant quatre des cinq premières éditions, ne laissant que la saison 1895-1896 au Club Français.

Lorsque les Normands et les Nordistes arrivent, ils prennent complètement le pouvoir. Sur les dix ans qui suivent leur arrivée, cinq titres sont ainsi glanés par le RC Roubaix et deux par Le Havre AC. Seuls le Standard AC, après un match rejoué en 1901, le Gallia Club, en battant Roubaix (1-0) en 1906, et le RC France, l'année suivante, réussissent à faire valoir les qualités de la Capitale.

Quatre des six derniers championnats joués avant le début de la Première Guerre mondiale reviennent aux clubs du Sud (3 pour le Stade Helvétique, 1 pour le Stade Raphaëlois). L'US Tourquennoise, qui existe encore aujourd'hui, a remporté le seul titre professionnel de son histoire en 1910. L'Olympique Lillois, l'un des deux clubs à l'origine du LOSC actuel, a lui été sacré champion de France 1914 tandis que Le Havre a remporté la toute dernière

Des clubs sur le terrain à l'importance accordée à ce sport, le football en France n'avait donc aucune similitude à la Ligue 1 d'aujourd'hui. De quoi remettre en perspective tout le chemin accompli pour en arriver à la popularité actuelle.