Entretien exclusif : Le journaliste, Sacha Tavolieri, se confie sur les chances des Diables Rouges au Qatar
Troisième de la dernière Coupe du monde, la Belgique ne semble pas aussi attendue pour cette nouvelle édition au Qatar. Pourtant, l'équipe de Roberto Martinez se présente avec un effectif de grande qualité. Mais alors, que penser des Diables Rouges avant leur entame de cette Coupe du monde 2022 ? On a pu discuter avec Sacha Tavolieri pour en savoir un peu plus sur la sélection belge.
Entre les objectifs de la Belgique au Qatar, l'avenir de Roberto Martinez, Thierry Henry ou encore le dossier Eden Hazard, le journaliste belge est revenu sur tous les sujets chauds des Diables Rouges, au moment de faire leur entrée en lice dans cette compétition !
Tout d'abord, quel est le sentiment général autour des Diables Rouges, avant cette Coupe du monde ?
"Le sentiment est plutôt mitigé. On est dans une période d'interrogations, de remise en question aussi. Il y a des points de certitudes que l'on aimerait avoir, mais que l'on n'a pas à l'aube de cette compétition. Forcément, tout le monde se pose des questions sur ce qu'il va advenir de cette Belgique au Qatar. Il y a un vrai point d'interrogation sur les performances des Diables Rouges. Pourquoi ? Parce que les fortunes sont diverses, selon qu'elles viennent du secteur offensif, du secteur défensif, du milieu de terrain...
On a un prisme entre la nouvelle et l'ancienne génération qui est en train de se mettre en place. Il y a deux mondes qui sont en train de s'opposer. L'ancien monde, ceux qui ont gravi les échelons, bâti l'histoire du football belge, puisqu'ils ont été la troisième place lors de la Coupe du monde 2018. Personne ne l'avait jamais fait ! Et le nouveau monde, avec des nouveaux joueurs qui sont forts prometteurs, qui sont déjà dans de très gros clubs.
Forcément, plusieurs questions se posent : est-ce que l'on va vers le nouveau monde, vers ces nouveaux joueurs qui tendent à devenir l'avenir des Diables Rouges ? Ou alors, est-ce qu'on conserve nos idées, et on va plutôt vers la certitude pour être sûr de ne pas se faire surprendre ? L'idée se serait évidemment de mélanger les deux horizons et d'avoir une Belgique plutôt unie, avec d'une part des nouveaux talents et de l'autre des anciens talents."
Quel sera l'objectif pour la Belgique lors de cette Coupe du monde ?
"Justement, la Belgique n'a pas forcément d'objectif. Elle sait dans quelle situation elle se trouve. C'est-à-dire cette transition qu'elle est en train d'opérer, entre les joueurs qui ne seront plus là dans les prochaines compétitions et ceux qui commencent à peine avec les Diables Rouges et qui vont devenir à terme des cadres indiscutables. Et c'est très important de le souligner, parce qu'on n'a pas, en Belgique, sur certains secteurs, un réservoir très large comme pourrait avoir la France. Les successeurs sont très vite donnés à voir.
Je donne un exemple très simple. Le successeur de Jan Vertonghen, qui aujourd'hui à 35 ans et qui joue en poste de défenseur central gauche, c'est Arthur Theate, qui joue du côté du Stade Rennais. Ensuite, on n'a pas un troisième choix. Les joueurs que l'on voit actuellement, qui ne sont peut-être pas titulaires, mais qui vont gagner de plus en plus de minutes, doivent assumer la responsabilité de devenir les cadres de demain. C'est vraiment cette ambivalence sur laquelle il faut travailler.
Au regard du parcours et de ce qu'il peut se passer, la Belgique nous a très souvent offert un exploit : le Portugal lors de l'Euro 2020, le Brésil lors de la Coupe du monde 2018. On a toujours un exploit, un gros match des Belges. Donc moi, je miserais sur les quarts de finale. Au regard de ce qu'on a comme talents, on est capable de le faire. Mais aller au-delà des quarts de finale, ce sera relativement étonnant, même si on a les talents pour aller la gagner. Cependant, aujourd'hui, on a tellement de questionnements que l'on n'est même pas capable de se projeter sur une victoire future, parce qu'on ne sait pas dans quel état vont arriver nos joueurs."
Donc pour toi, la Belgique aura un rôle d'outsider lors de cette Coupe du monde ?
"On est dans ce pot-là. Pas les favoris directs ! Les favoris directs, pour moi, ils sont très clairs : l'Argentine, le Brésil et la France. Les trois qui sont le plus à même de remporter cette Coupe du monde. Et puis ensuite, il y a le pot d'après. Avec l'Espagne, qui est très proche de ces favoris, le Portugal, l'Allemagne et la Belgique. Avec juste un peu en dessous, parce que je sens bien une petite surprise, le Danemark."
"Il y a toujours eu une espèce de cousinade, avec des taquineries, entre le grand frère français et le petit frère belge."
- Sacha Tavolieri
Il y a cette rivalité qui s'est créée avec les Bleus depuis 2018. Est-ce qu'il y a aussi cet objectif de retrouver la France et de prendre sa revanche ?
"Bien sûr ! Elle est toujours là cette récente rivalité, parce qu'elle date de 2018 ! Il y a toujours eu une espèce de cousinade, avec des taquineries, entre le grand frère français et le petit frère belge. Ce sont toujours des choses qui font partie de la culture, de manière générale. C'est très peu lié au football en tant que tel, et à ce qu'il se passe sur le terrain. Ce sont des nations qui s'entendent très bien au niveau du football.
Il semble évident que, parce que la relation est très bonne entre les deux joueurs des nations, tu peux retrouver une volonté, de part et d'autre, de vouloir s'affronter. Il suffit de voir le match exceptionnel de la demi-finale de la Ligue des Nations. Un 3 à 2, avec des buts de partout, un retournement de situation absolument fou. C'était dingue ! Avec des joueurs de très très haut niveau, qui avaient fait des très grands matchs. À l'époque, c'était Romelu Lukaku et Karim Benzema qui avaient été fantastiques. On va passer un bon moment s'il y a Belgique - France, c'est évident."
Quels sont les principes de jeu de Roberto Martinez ? Est-ce qu'ils ont évolué depuis son arrivée en 2016 ?
"Ils n'ont pas réellement évolué. C'est d'ailleurs ce que la plupart des observateurs lui reprochent : son conservatisme. Mais aussi le fait qu'il y ait souvent des joueurs qui sont amenés à rester sur le terrain, parce qu'il juge que leur forme en équipe nationale est à analyser de manière indépendante, par rapport à leurs performances en club. Ce n'est pas du tout mon avis ! Mais c'est la façon dont lui juge les choses. Aujourd'hui, par exemple, il y a de fortes chances que l'on retrouve notre 3-4-2-1, en termes de système de jeu.
La façon dont l'animation va s'organiser, c'est qu'en fait, nous avons des milieux de terrain, mis à part sur le côté droit. Là, on a deux latéraux droits de formation, donc qui vont faire le rôle de piston. Mais à gauche, par exemple, on n'a pas de latéral, on n'a pas de piston gauche, comme pourrait avoir la France avec Hernandez ou Mendy. On n'a pas de joueurs comme ça en Belgique. Donc, qu'est-ce qu'on fait ? On fait du bricolage ! Ça fait quatre ans que c'est le cas. On prend soit Thorgan Hazard, soit Timothy Castagne, qui est un latéral droit, soit Yannick Carrasco, qui joue généralement milieu gauche dans un 4-4-2.
Ici, c'est un axe clé, parce que les adversaires savent par où passer. Ils savent qu'avec ce problème de vitesse dans le dos, ils peuvent se faire avoir. Forcément, qu'est-ce que cela entraîne ? Et c'est pourquoi il y a une grosse polémique en Belgique. On se pose la question pourquoi Axel Witsel, qui aujourd'hui est défenseur central à l'Atlético de Madrid, ne jouerait pas défenseur central avec la Belgique. Parce que Roberto Martinez en a besoin pour aller recouper les espaces, qui sont dans le dos de Yannick Carrasco, en tant qu'équilibriste dans ce milieu de terrain. C'est ce pourquoi il garde cette position de sentinelle, au poste de numéro 6. Et c'est lui qui va justement permettre aux joueurs d'équilibrer cette animation collective, en phase défensive. Voilà, comment ça agit !
Après, en ce qui concerne la défense en tant que tel, elle est vieillissante et c'est un vrai problème. Parce que quand on voit le niveau, par exemple, de Jan Vertonghen et de Toby Alderweireld, d'une manière générale, ils sont sur le déclin. Ils sont les deux comparses, depuis 2018, qui ont vraiment été très importants. Ils sont les cadres de cette équipe. On commence à se dire que c'est bien que Roberto Martinez compte sur eux, qu'il pense que leur expérience va faire la différence. Mais physiquement, ils ne tiennent plus dans un championnat, qui est un championnat mineur. Le championnat de Belgique, dans lequel ils jouent à présent. Que ce soit Vertonghen à Anderlecht ou Alderweireld à Antwerp, ils ne sont pas voués à des footballs de grande intensité, qui font qu'ils peuvent tenir une Coupe du monde. C'est un vrai problème !
On a des solutions, on a un joueur qui est titulaire à Leicester : Wout Faes. Et un autre qui est titulaire au Stade Rennais: Arthur Theate. Donc, ce n'est pas comme si on n'avait pas de joueurs pour les remplacer. Mais visiblement, Roberto Martinez ne l'entend pas de la même oreille, pour le moment. On va voir bien sûr ce qu'il va faire durant la préparation, mais moi, j'ai très peur qu'ils les mettent titulaires. C'est un vrai problème, parce que défensivement, on a un problème de vitesse, qui est assez contre-indicatif par rapport au système de jeu que veut mettre en place Roberto Martinez."
On parle tout de même de l'une des meilleures nations européennes. Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur les points forts de cette équipe ?
"On a le meilleur milieu du monde avec Kevin De Bruyne. C'est quand même incroyable. On a le meilleur gardien du monde, avec Thibaut Courtois. Rien que ça, ça fait des points forts individuels qui sont incontestables. En plus, ce sont des joueurs qui fondamentalement ne jouent pas pour eux. Donc, c'est bien parce qu'ils vont aider ce collectif à se resserrer.
Puis on a des joueurs qui tendent à se révéler, comme par exemple, Amadou Onana du côté d'Everton. Il est excellent. Il fait un très bon début de saison et il fait partie des joueurs qui vont compter à l'avenir et qui ont un profil assez unique. Parce que depuis le départ de Marouane Fellaini, un leader comme ça dans le milieu de terrain, capable d'aller mettre une tête, de faire parler son physique et d'être aussi bon à la relance... La Belgique n'en avait plus !
Donc, c'est aussi une solution très importante que peut avoir Roberto Martinez dans son onze de base. On a toujours, bien sûr, Youri Tielemans qui est un très bon joueur. Mais Amadou Onana me semble vraiment une clé importante et un nouveau point fort qui peut aussi déstabiliser des adversaires. Parce qu'ils ne l'ont jamais ou que très rarement vu, lui qui a été titulaire face aux Pays-Bas seulement, en Ligue des Nations. Un joueur important, qui fait partie des points forts.
Il y aussi le retour de Romelu Lukaku. Ça va compter aussi ! Voir un peu dans quel état il va revenir. On va voir déjà s'il joue ce soir (ndlr : l'interview a été réalisée avant la dernière journée de C1). Il y a un match important pour l'Inter Milan face au Viktoria Plzen, qui peut lui permettre de se qualifier pour les huitièmes de finale de la C1. Un joueur prépondérant comme Romelu Lukaku devrait pouvoir faire quelque chose pour se relancer, pour son premier match de retour. On va voir comment il va revenir en termes de forme. Mais c'est évident, qu'il sera important.
Ce qui est intéressant aussi, c'est que l'on a différents profils qui sont en train d'arriver dans la sélection, notamment offensivement avec Charles De Ketelaere, qui n'est pas du tout le même joueur que les autres. Et il peut donc permettre, par exemple, à Roberto Martinez de changer son animation, d'apporter un autre type de football. C'est un joueur très intelligent, qui sait aussi s'adapter. Il a pu le montrer à Bruges, il le montre à Milan. C'est un joueur qui a cette capacité, cette polyvalence, et donc forcément, c'est très intéressant. "
Présent depuis 2016, comment juges-tu le mandat de Roberto Martinez à la tête de la Belgique ?
"Quand on compare aux années d'attente qu'il a fallu au Portugal, qui est historiquement et culturellement un pays de football, pour pouvoir avoir un seul titre international, c'est vraiment exceptionnel de gagner un titre international. C'est quelque chose qui n'est pas voué à tout le monde. C'est vraiment une parenthèse enchantée. Ce que la Belgique a fait en 2018, bien sûr, je pense qu'elle en avait les capacités. Ils se sont fait avoir, je pense, tout simplement, par une France qui était beaucoup trop intelligente dans son style de jeu pour la Belgique et donc forcément, il y a une forme de naïveté et un manque de personnalité qui s'est sortie de ce match. Ce sont des choses qu'il faut savoir faire rejaillir dans les moments importants.
Puis surtout, il faut aussi savoir gérer des temps forts et des temps faibles. C'est souvent ce qui fait gagner un grand tournoi. C'est comme ça que la Belgique pourrait, pour moi, nous surprendre, encore une fois. Même si voilà, comme je le dis, c'est une période un peu de questionnement. Donc c'est très positif. C'est une petite nation de 11 millions d'habitants. On les met beaucoup en avant. Ils sont très populaires. Le football belge existe. Il y a des superstars du foot qui sont Belges. C'est comme ça quand le conçoit. Aujourd'hui, c'est déjà bien de les mettre en avant. C'est bien aussi de les critiquer quand il le faut. Moi, je suis juste dans ma manière de faire. Quand je trouve que quelque chose ne va pas, je le dis. Je ne suis pas dans le fait de les protéger, ce n'est pas mon rôle. Contrairement à ce que peuvent penser d'autres confrères.
L'avenir de la Belgique, ce sera beaucoup de joueurs notés 7,5/10 à toutes les positions, et peu de 9,5/10 comme des Courtois, comme des De Bruyne. Globalement, c'est l'héritage qu'aura laissé Roberto Martinez, avec bien sûr, la façon dont il a réussi à professionnaliser toute la fédération, en tant que directeur technique national. C'est exceptionnel ! Aujourd'hui, tout le monde joue en 3-4-2-1. On a beaucoup plus de personnes autour qui professionnalisent et qui structurent toutes les équipes de jeunes, qui permettent justement à ces petits de progresser et de devenir à chaque fois meilleur et de faire de meilleurs résultats, ne serait-ce que dans les équipes de jeunes.
La catégorie U21 qui s'est qualifiée pour l'Euro. Il y a toute une série de choses positives réalisées par Roberto Martinez. Mais en tant que sélectionneur, pour moi, il est trop dans le lobbying. Il réfléchit trop. Il est trop dans le calcul. Et ça c'est un vrai problème. Je pense qu'il doit libérer un petit peu les choses. Et c'est ce qui fait que pour moi, on ne peut pas miser sur une Belgique gagnante, parce qu'on a un entraîneur qui est trop dans ses idées conservatrices et qui est un peu à l'image de ce qu'était Marcelo Bielsa à l'OM : foncer sur ses idées sans vraiment ouvrir un petit peu les possibilités."
La Belgique est l'une des sélections les plus régulières, lors des dernières compétitions. Il a peut-être du mal à changer sa vision des choses, pour franchir ce dernier cap, qui peut l'emmener au sacre.
"Oui ! Il est content de se dire : "à chaque compétition internationale, depuis que je suis arrivé, on a fait, au minimum, les quarts de finale. Voilà, c'est mon objectif. On va aller chercher les quarts de finale, je fais mon boulot et puis voilà, le job est fait". Il est vraiment dans un état d'esprit très rationnel et très calculateur. Et c'est parfois un problème. Ça peut très bien plaire aux gens, que les gens se disent qu'en Belgique, on n'est pas forcément un pays de football, on n'est pas culturellement un pays de sport, mise à part dans le cyclisme et dans le tennis où là, c'est vraiment ancré chez nous. Dans le football, ça doit encore continuer à se cultiver, à grandir. Et donc c'est ce qui fait qu'on pourrait à l'avenir en tout cas, tout doucement voir les choses autrement, mais Martinez arrive un petit peu au point de fixation entre les deux générations."
"Retrouver un club pour Roberto Martinez, ça pourrait permettre à Thierry Henry d'arriver comme le candidat favori."
- Le journaliste belge
Est-ce que Roberto Martinez a prévu de continuer après la Coupe du monde ?
"C'est assez compliqué à dire. Aujourd'hui, Roberto Martinez est en fin de contrat. Il y a beaucoup de fausses informations ou de rumeurs sur son départ. Je pense que Roberto Martinez fait ce qu'il veut à la fédération, parce qu'il n'a pas vraiment une autorité au-dessus de lui à qui il doit rendre des comptes. S'il a envie de continuer, il continuera. S'il n'en a pas envie et qu'il a par exemple une autre opportunité ailleurs en tant qu'entraîneur, il ira ailleurs. C'est un petit peu à lui de décider ! Comme son successeur d'ailleurs qui pourrait être Thierry Henry."
En parlant de Thierry Henry, quel est son rôle précis dans le staff de Roberto Martinez ?
"Son rôle, c'est le rôle de premier assistant. C'est-à-dire que lui fait toute la préparation. Il est avec Roberto Martinez, pour prendre les décisions les plus importantes. Il est d'ailleurs la personne en qui Roberto Martinez a le plus confiance, en tant qu'entraîneur assistant, puisque c'est lui qui était l'entraîneur intérim lorsque Roberto Martinez s'est fait exclure.
C'est en tout cas un entraîneur qui connaît très bien le groupe, il connaît la philosophie de Roberto Martinez, il connaît l'héritage aussi et l'importance que ça pourrait avoir si lui venait à quitter cette sélection. C'est bien sûr un endroit dans lequel il se sent bien. Entraîneur de la Belgique, ça n'a pas l'air d'être quelque chose qui le pèse. Forcément, il connaît les joueurs. Je pense qu'il a aussi peut-être des ambitions si Roberto venait à lui dire : "moi, j'ai peut-être envie de faire un pas de côté, et d'aller tout simplement chercher ce que j'ai toujours voulu".
Parce que Roberto Martinez gère un petit peu la sélection comme un club. Retrouver un club pour Roberto Martinez, ça pourrait permettre à Thierry Henry d'arriver comme le candidat favori. Et après, bien sûr, ça sera à Peter Bossaert, le CEO de la fédération, de faire le choix. Mais voilà, il pourrait arriver comme le chouchou, mis en avant par le prédécesseur."
Quel impact a-t-il auprès des joueurs belges ? L'avoir à côté de soi, sur le banc, c'est quelque chose de fort.
"Bien sûr ! Surtout pour les attaquants. Il a commencé comme entraîneur des attaquants. Donc tous les joueurs qui régissent le secteur offensif, Eden Hazard, Romelu Lukaku, Jérémy Doku ont une relation encore plus particulière avec lui. Parce que lui fait vraiment du personal training. Et ça, c'est très important parce qu'ils ont la même philosophie et c'est ce qui pourrait justement par exemple rendre des joueurs comme Romelu Lukaku encore plus performant, encore meilleur...
Je pense que plusieurs joueurs partagent la même passion, la même obstination de la performance que Thierry Henry. Puis on sait aussi que Thierry Henry parle très bien anglais, donc ça ne posera aucun problème. Ici, la communication se déroule essentiellement en anglais, sauf bien sûr quand il y a des francophones qui parlent en français. Là, Thierry Henry parle en français. Je pense qu'il y a pas mal de points, personnels et psychologiques, qui pourraient matcher avec des joueurs déjà présents, qui sont des cadres de l'équipe nationale."
Quels sont les cadres de cette sélection belge ?
"Kevin De Bruyne, Thibaut Courtois, Romelu Lukaku, Eden Hazard, Axel Witsel et dans une certaine mesure Thomas Meunier aussi. Même si maintenant, il oscille plutôt entre le chaud et le froid."
"Eden Hazard peut être intéressant, mais dans un rôle de 10,15,20 minutes"
- S.T.
Dans une saison si particulière, où les matchs se sont enchaînés, Eden Hazard a peu joué. Il ne s'est toutefois pas blessé. Est-ce qu'il pourrait donc débarquer plus en forme que les autres sur cette Coupe du monde et faire une grande compétition ?
"Sur le principe, oui bien sûr ! C'est le moment où Eden Hazard doit se montrer. C'est peut-être sa dernière grande compétition internationale. Il sait qu'au Real Madrid, il a un contrat qui court jusqu'en 2024, à 15 millions d'euros nets à l'année. Je pense que là, il est sur le hamac tranquille avec sa petite saucisse cocktail et son petit mojito fraise. En gros, il est dans une situation de confort dans laquelle personne ne pourrait le déloger.
Le Real Madrid a essayé de le faire quitter le club. Lui-même, quand il a vu une opportunité liée à Chelsea et Newcastle également, il a voulu quitter le Real Madrid. Eden Hazard est dans une situation de : "c'est mon tournoi, c'est ce qui va me permettre de continuer d'être heureux de jouer au football". Parce que pour le moment, il ne faut pas être un génie pour voir qu'il n'est pas heureux d'être footballeur pro. Il ne joue quasiment jamais. Quand il joue, il entre des bouts de matchs. Il est dans une équipe qui tourne à fond et sur laquelle tu vois qu'il y a des joueurs qui sont plus frais, plus jeunes, plus avertis, plus efficaces. Ça doit être frustrant pour un joueur.
Eden Hazard se dit que là où il est le capitaine, parce qu'il reste capitaine des Diables Rouges, et là où il est l'homme fort, c'est la Belgique. C'est ce tournoi qu'il a vraiment envie de mettre en priorité. Alors peut-être pas dans le rôle de ce qu'il était à l'époque. C'est-à-dire qu'il prend le ballon, il dépasse toute la ligne adverse et puis il va marquer un but. Plutôt dans un rôle de gestionnaire ! C'est pour ça que je pense qu'Eden Hazard peut être intéressant, mais dans un rôle de 10,15,20 minutes, selon les circonstances de match.
Ou alors peut-être le faire jouer dans d'autres types de matchs, par exemple, contre le Canada, le Maroc... La phase de poules, il peut la faire. Il y a des moments, où sur la vitesse en tant que tel, tu vois que ça ne va plus. Donc, ou tu adaptes son profil et tu mets des joueurs très rapides à ses côtés, pour que justement les efforts que lui ne sait plus faire soient comblés au niveau de l'animation, ou alors tu le mets sur le banc. Tu ne peux pas le laisser en disant qu'il va même faire la même chose qu'en 2018, ça n'arrivera pas. Physiquement, il n'en est plus capable."
Est-ce que tu n'as pas peur de ce manque de rythme justement ? Qu'il n'ait pas pu enchaîner ?
"Bien sûr ! C'est une des craintes. Surtout, huit jours avant le début de la Coupe du monde, les championnats s'arrêtent. C'est vraiment une question de conjoncture. C'est comme un cycliste qui arrive, il se prépare toute la saison pour être en forme au moment du Tour de France, au moment du Giro, au moment de la Vuelta. Là, c'est pareil ! En fait, il n'y a pas le mois de préparation pour pouvoir se dire : "OK là je vais arriver à mon point de forme..." Non ! C'est complétement aléatoire.
Les joueurs vont arriver en forme, pas en forme, blessés, semi blessés... Ils vont arriver, ils vont être jetés. Et puis là, tu vas jeter des dés. Ça me donne vraiment cette impression-là ! Tu vas jeter des dés et puis on va voir ce qu'il va se passer. Et c'est ça qui m'inquiète le plus. C'est que concernant Eden Hazard, on ne sait pas ce qu'il va se passer. Peut-être qu'il peut se blesser après le premier match et sa compétition est terminée. C'est pour ça que je te dis, si on doit prendre le moment où se parle, la décision la plus rationnelle possible, c'est de le mettre sur le banc et de le faire exploser sur les 20 dernières minutes de match. Ça me semble le plus cohérent, le plus stable possible pour lui."
Quand ça fait autant de temps qu'il n'a pas été titulaire dans un match à enjeu, c'est compliqué de revenir pour la Coupe du monde...
"Il est gâté quand même. Roberto Martinez lui fait beaucoup de concessions. Il l'aide énormément. Il dépend même parfois un peu de lui dans le vestiaire pour maintenir l'ossature. C'est un élément important dans ce groupe. C'est vraiment le parrain de ces 26, qui vont aller à la Coupe du monde. Donc bien sûr, Roberto Martinez lui offre quand même pas mal de facilités qu'il n'offrirait pas à d'autres. C'est ça que je veux dire. Et donc forcément, parfois, on peut se poser des questions, par rapport à ça, si les performances sportives ne sont pas là. Et là, en l'occurrence, c'est le cas. Mais il reste un très grand joueur et on l'aime énormément. On aimerait revoir Eden Hazard, qui nous fait plus de la peine qu'autre chose, parce qu'on l'apprécie en tant que joueur."
Mais si tu te mets à la place de Roberto Martinez, tu penses qu'il va être titulaire ?
"Malheureusement, oui ! Moi je ne le mettrais pas, mais si je me mets dans la tête de Roberto Martinez, je pense qu'il le mettra titulaire..."
Quels sont les joueurs qui peuvent faire la différence mais qui ne sont pas forcément attendus ?
"On va parler de Wout Faes, qui a été transféré, pour remplacer Wesley Fofana, du côté de Leicester. Il a porté une grosse pression. Il fait un très bon début de saison en Premier League. Et puis, Arthur Theate aussi. Défenseur central gaucher du Stade Rennais. C'est vraiment le joueur qui, pour moi, a cette personnalité, cette capacité à sortir un peu des lignes. Le côté un peu foufou. Je sais que ça dérange Martinez. Je sais que ça lui fait peur. Mais il y a quelque chose chez lui de l'ordre du désordre positif, dans sa façon de jouer au football. Il a cette espèce de velléité offensive naturelle.
Il amène quelque chose de particulier à cette sélection. Et donc pour moi, c'est un joueur qui peut vraiment ressortir du lot et se dire : "OK ce mec-là, on a quelqu'un en fait. On a vraiment un défenseur central sur lequel on peut compter". Il suffit de le mettre titulaire. Il est très bon sur phase arrêtée. Vous allez voir, il va certainement marquer un but sur phase arrêtée. Après tout la monde va dire : "Arthur Theate est exceptionnel, il faut le mettre titulaire. Comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ?..." Parce qu'il y a aujourd'hui, en Belgique, une espèce de retenue quand au fait de tenter des choses un peu plus tôt que prévu. C'est ça parfois le problème."
Allons plus loin que le Qatar. Est-ce que tu as une idée des stars de demain en Belgique ?
"Il y en a un qui a fait un super début de saison en Premier League, qui est du côté de Southampton. C'est Romeo Lavia ! Milieu défensif qui a d'ailleurs été acheté par l'ancien directeur de l'académie, qui l'avait déjà recruté à Anderlecht, en provenance de Manchester City. Il était le directeur du recrutement à Southampton et il vient de se faire engager par Chelsea. Il s'appelle Joe Shields.
Il a suivi Romeo Lavia tout au long de sa carrière. Et il a dit : "il est trop fort. En vérité, je pense qu'on peut faire quelque chose de très bien avec lui". Il l'a tout de suite titularisé, alors qu'il n'avait que 18 ans, en Premier League. Il a été excellent durant le début de saison. Donc pour moi, Romeo Lavia, c'est vraiment le talent à retenir.
Je sais qu'il y a le petit Koni De Winter, le défenseur central de la Juventus, prêté à Empoli qui est très bon aussi. Et puis voilà, il y a d'autres talents qui vont arriver comme le jeune Julian Duranville du côté d'Anderlecht, qui est un milieu offensif, mais qui ressemble plutôt à un ailier dans ses velléités offensives, ses capacités à faire la différence en 1 contre 1, son côté technique, sa lucidité... C'est un joueur qui a beaucoup de potentiel. On verra comment ces joueurs vont s'en sortir dans les prochaines années. Mais ça, c'est déjà un axe de trois qui sera important."
Il y a donc de quoi se montrer confiant pour la suite de la Belgique !
"Oui, mais comme je l'ai dit, je pense qu'à l'avenir, on va vraiment avoir une Belgique avec des joueurs qui sont très bons, des joueurs notés 7/10, des joueurs notés 7,5/10. Un petit peu comme le Danemark. Ils ont beaucoup de joueurs très bons, mais ils n'ont pas la superstar qui explose dans un super club. Je pense qu'on va avoir ça. Un petit peu au-dessus quand même des Danois, parce qu'on a une histoire en Belgique qui est supérieure au niveau des talents. Je pense qu'on sera entre le Danemark, au niveau de la vision dont j'ai parlé, et le Portugal, qui culturellement, est beaucoup trop haut par rapport à nous et qui a déjà beaucoup trop d'avance niveau football. "
Finissons sur un petit jeu. Je te laisse choisir entre deux joueurs belges. Loïs Openda ou Jérémy Doku ?
"Je dirais quand même Loïs Openda."
Axel Witsel ou Youri Tielemans ?
"Youri Tielemans."
Dries Mertens ou Yannick Carrasco ?
"Yannick Carrasco."
Romelu Lukaku ou Eden Hazard ?
"Romelu Lukaku, parce que je suis supporter de l'Inter. C'est facile pour moi."
Kevin De Bruyne ou Thibaut Courtois ?
"Moi, je mettrais Kevin De Bruyne, à titre personnel. C'est quelqu'un qui me fait vibrer. Il y a quelque chose d'inexplicable chez lui. Thibaut Courtois est pour moi le meilleur joueur de l'histoire du football belge, pour replacer. Je préfère dire que Courtois est le meilleur joueur de l'histoire du football belge parce que ce qu'il a fait, c'est exceptionnel. Chaque année, il est incroyable. Il est meilleur à chaque fois et il s'améliore encore. Mais comme De Bruyne en fait l ! Sauf que lui, il a ce côté magique qui m'émeut en tant que personne. Donc je dis De Bruyne !
J'ose le dire. Je pense que le fait qu'aujourd'hui Kevin De Bruyne soit très fort et Eden Hazard beaucoup moins fort, ça peut même aider l'équipe nationale. Dans le sens où KDB est le meilleur, tout le monde le sait. C'est le numéro 1. C'est un peu lui qui va distribuer les cartes dans la façon de jouer au football des Diables Rouges. Donc, si on a un très bon attaquant, si Romelu Lukaku revient, on pourrait avoir ce qu'on a du côté de Manchester City avec Erling Haaland. C'est-à-dire un joueur qui sort des caviars sur caviars et un autre qui est face au but et qui les met. On pourrait avoir la même configuration. "
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