Football Manager dans la vraie vie : L'incroyable odyssée de Paul Watson en Micronésie

Paul Watson et son voyage aux antipodes.
Paul Watson et son voyage aux antipodes. / Tal Gilad/90min
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Qui n'a jamais rêvé de monter son équipe à la manière de ​Football Manager ? Paul Watson a poussé ce défi à l'extrême. Débarquant en 2009 en Micronésie, archipel océanien au beau milieu du Pacifique, l'Anglais en constante quête d'aventure nous conte pour 90min comment il est devenu le coach d'une des pires équipes de la planète football.

Oubliez l'Iliade ou l'Odyssée. Ce récit n'a rien d'homérique, mais fait la part belle à une des plus singulières épopées de l'histoire du ballon rond.

Tout est parti d'une conversation anodine. Joueur amateur, "sans aucun espoir de faire carrière", selon son propre aveu, Paul Watson a, comme tous fans de ballon rond, rêvé de représenter un jour sa sélection nationale :

"Ça part d’une simple discussion avec mon coloc' (Matthew Conrad, NDLR) et que de nombreux fans de foot ont eue. À l’époque, quand on regardait les matchs internationaux à la télé, on se disait évidemment que c’était inatteignable. Mais en regardant Andorre ou Saint-Marin, on se disait : ‘et si on était né là-bas, est-ce qu’on aurait pu devenir footballeurs internationaux ?"

Du football amateur anglais à la Micronésie

Le rationnel prend rapidement le dessus. Évoluant en "Sunday League", le terme désignant les divisions amateurs du Royaume-Uni, les deux Londoniens de 24 ans plongent alors dans les bas fonds du classement FIFA, à la recherche d'une nation prête à accueillir leur "talent". Sans succès :

""Alors, on s’est mis à la quête des sélections non reconnues par la FIFA. C’est ce qui nous a mené à Pohnpei." "

Paul Watson

De délire entre potes à véritable projet, direction les antipodes et cette région de Pohnpei, un des États fédérés de la Micronésie, archipel océanien situé au beau milieu du Pacifique.

Pohnpei c'est loin... très loin.
Pohnpei c'est loin... très loin. / Capture d'écran / ©Google Maps

"En théorie, on voulait jouer. On a envoyé un mail au président de leur fédération Charles Musana. On est resté vague parce que deux Londoniens qui veulent jouer pour une sélection nationale, on dirait une idée alcoolisée sortie du pub. Coïncidence incroyable, il était sur Londres et on a pu le rencontrer."

L'histoire est en marche.

"Il nous a vite fait comprendre que l’équipe de Pohnpei avait perdu l’envie de jouer après toutes ces défaites. Ce dont il avait réellement besoin était de coachs pouvant redynamiser le football sur l’île. À ce moment, on s’est senti investi d’une mission, comme si nos vies trouvaient un sens."

L'arrivée en 2009 de Watson et Conrad à Pohnpei en compagnie de Charles Musana (à gauche).
L'arrivée en 2009 de Watson et Conrad à Pohnpei en compagnie de Charles Musana (à gauche). / ©Paul Watson

Un dépaysement total

Près de 12.900 kilomètres séparent la Grande-Bretagne à la Micronésie. Une dizaine de mois ont donc été nécessaires afin de préparer ce voyage en terre inconnue. L'arrivée sur l'archipel, en 2009, est pour le moins dépaysante :

"Je m’imaginais une sorte d’île déserte avec beaucoup de sables, mais au final c’était très vert et vraiment magnifique. Mais en même temps il faisait très chaud et il pleuvait énormément. C’était un tout nouveau monde."

Paul Watson en mode joga bonito sur son nouvel archipel.
Paul Watson en mode joga bonito sur son nouvel archipel. / ©Paul Watson

Une chaleur et un soleil accablant, qui n'ont d'ailleurs pas épargné le tout nouvel entraîneur de Pohnpei dès son arrivée :

"On voulait tracer les lignes avec les joueurs. C'était au milieu de la journée, il faisait 30-35 degrés et ils me disaient : 'mets toi à l'ombre, on gère'. Je voulais vraiment les aider et pas faire le petit anglais à la peau sensible. À la fin de la journée tout le monde me regarde. J'étais rouge, la peau cloquée. Je ressemblais à un zombie. (rires)."

Niveau infrastructure également, on était loin des standards dont Watson avait été habitué en Angleterre. "Le terrain était souvent inondé avec des grenouilles qui sautaient partout, se souvient-il avec humour. Les buts n'étaient pas du tout conformes. iI fallait tout refaire pour avoir un terrain praticable."

Dans le milieu, on appelle ça un billard.
Dans le milieu, on appelle ça un billard. / ©Paul Watson

"Play Up Pohnpei !"

Le cœur du problème pour les deux "Brits" a naturellement été de trouver des joueurs.

""Quand on est arrivé pour la première fois sur le terrain, il y avait un joueur...""

Paul Watson

Bien heureusement, une douzaine de passionnés ou de curieux ont rapidement été tentés par le projet : "Des étudiants, un chauffeur de taxi, un prof, un ouvrier du bâtiment, un joueur de cricket srilankais...". Un groupe éclectique, à l'image de l'île.

"Il y avait des joueurs de 15-16 ans qui avaient déjà été initiés au football et qui affichaient de réelles qualités. Après c'était très hétérogène. Il y avait des joueurs plus âgés, dans leur trentaine, qui n'étaient pas très doués techniquement mais qui avaient un sens du sacrifice incroyable, à base de tacles bien appuyés."

Coach Paul Watson et ses joueurs de Pohnpei.
Coach Paul Watson et ses joueurs de Pohnpei. / ©Paul Watson

Le groupe formé, les joueurs motivés, l'aventure peut enfin commencer. "On s’est vite rendu compte qu’il y avait du talent mais qu’on n'a jamais encouragé ces joueurs à jouer".

Une victoire pour l'histoire

""Plus j'étais professionnel moins ça marchait. Moins je me prenais au sérieux, plus ils m'appréciaient.""

P. W.

C'est en suivant cet adage que Watson et Conrad s'intègrent parfaitement dans leur nouvel environnement footballistique. Pour autant, l'appel de la compétition n'échappe pas aux Britanniques, bercés depuis leur plus tendre enfance à la Premier League.

Direction donc Guam, une île voisine sous souveraineté américaine, où le football a connu un réel essor au XXIème siècle. Objectif : laver un affront vivement présent dans l'esprit des Pohnpéiens.

"La tournée à Guam était symbolique, car c’est contre leur équipe que Pohnpei a subi sa plus large défaite stoppant par la même occasion l’élan du football sur l’île."

Le capitaine de Pohnpei, lors du déplacement de l'équipe à Guam.
Le capitaine de Pohnpei, lors du déplacement de l'équipe à Guam. /

Au programme : trois rencontres contre des clubs de Guam, et un match amical contre la sélection nationale U17.

Après une défaite initiale 3-2, face à un club de première division guamanienne, l'improbable se produit :

""Pour la première fois de l’histoire de Pohnpei, on a gagné un match. C’était une sensation incroyable. Les joueurs étaient en larmes." "

Paul Watson

Une victoire pour l'histoire, après avoir étrillé 7-1 un club de deuxième division. Avant un petit retour aux sources...

"Au dernier match contre les U17 de Guam, on perd 3-0 et une pluie diluvienne inonde le terrain et interrompt la rencontre vers la 70e minute, se souvient Watson. C’était une belle ironie de venir d’aussi loin sur cette île paradisiaque avec des terrains homologués par la FIFA et constater qu’ils ont les mêmes problèmes que nous (rires)."

Les héros de tout un peuple.
Les héros de tout un peuple. / ©Paul Watson

Un développement du football sur l'archipel

Au-delà de ce moment gravé à jamais dans l’esprit des habitants de Pohnpei, et qui a inspiré les futures générations de joueurs, Watson et Conrad développent fondamentalement le football sur l'archipel micronésien.

"On avait monté une équipe, permis de développer des infrastructures. Et pas seulement à Pohnpei, mais dans des îles autour, se targue Paul Watson. On avait lancé un championnat : la "Pohnpei Premier League" avec des équipes provenant de différentes communautés que ce soit de l'église ou des écoles... On a essayé de transmettre aux locaux des méthodes, leur inculquer les règles, afin qu'ils répliquent les structures que nous avions mises en place."

Un joueur de Pohnpei avec leur premier jeu de maillot.
Un joueur de Pohnpei avec leur premier jeu de maillot. / ©Paul Watson

Un travail vertueux, dont aurait dû plus amplement bénéficier la sélection nationale de Micronésie, fondée en 1999, et regroupant les quatre États constituant l'archipel : Yap, Chuuk, Kosrae et évidemment Pohnpei.

46-0, 38-0, 30-0

​En réalité, le niveau de jeu affiché par l'archipel océanien est digne d'une équipe de D4 du fin fond du Finistère, au lendemain d'une soirée fortement arrosée.

Cantonnée aux matchs amicaux, la sélection est, depuis le passage de Watson et Conrad, conviée à de nombreux tournois, dont les Jeux du Pacifique, où la Micronésie va tristement écrire l'histoire un 7 juillet 2015.

Ce jour-là, la Micronésie concède un cinglant 46-0 face au terrible Vanuatu, aujourd'hui 166ème nation au classement FIFA. Une troisième défaite sur un score de rugby, après les humiliations subies face à Tahiti (30-0) et aux Fidji (38-0) en phase de poules. 114 buts en trois matchs. Le constat est amer et fait regrettablement le tour des médias.

"C'est frustrant, car évidemment c'est difficile de sélectionner les meilleurs joueurs de l'archipel. En l'occurrence, l'entraîneur venait de Yap et a amené avec lui principalement des jeunes joueurs de son île et un seul joueur qui était avec nous à Pohnpei, précise Watson. C'était une erreur à mon sens (de les envoyer aux Jeux du Pacifique, NDLR), car l'expérience fut traumatisante."

Malgré ces raclées, la Micronésie espère toujours être reconnue par la FIFA. Un combat qu'a longuement mené Paul Watson. En vain...

"Quand je suis parti (en 2010), je pensais réellement, et peut-être naïvement, que la Fédération était sur la bonne voie et qu'on avait rempli notre mission.... Dix ans plus tard, on en est toujours au même stade", déplore-t-il.

Peu importe, le Pohnpei de Paul Watson et la sélection du petit archipel de 100.000 habitants sont peut-être ce qui se rapprochent le plus du modèle de Pierre de Coubertin : "L'important, c'est de participer"

Paul Watson promulguant ses conseils à ses joueurs de Pohnpei.
Paul Watson promulguant ses conseils à ses joueurs de Pohnpei. / ©Paul Watson

Après un nouveau projet en Mongolie, l'Anglais poursuit toujours son aventure dans les contrées lointaines du football. Prochain objectif : organiser un tournoi dans les camps de réfugiés Rohingya.

La mythologie du football fait la part belle aux héros, laissant dans l'ombre les vaincus. À son échelle, Paul Watson réussit pourtant l'exploit de mettre en lumière le football véritable. Celui alimenté par la passion et non par des sommes d'argent toujours plus mirobolantes.