Harry Kane : L'attaquant qui ne fait plus l'unanimité
Par Grégoire Cornet
Atone depuis la reprise du championnat anglais, Harry Kane est en difficulté sur le plan physique. Des blessures qui entachent ses deux dernières saisons, une équipe moins inspirée, le capitaine des Three Lions semble marquer le pas au beau milieu de sa carrière, et faire de moins en moins l'unanimité.
Nous sommes le 1er janvier 2015, Tottenham reçoit le leader Chelsea à White Hart Lane. Les spectateurs assistent au premier match référence de ce monstre. Harry Kane mène les Spurs vers un succès prestigieux 5-3, il inscrit un doublé et délivre deux passes décisives. Cinq ans plus tard, à bientôt 27 ans, la Tour de Londres traverse une période creuse, à tel point que ses meilleures saisons semblent derrière lui. Retour sur son évolution et analyse de sa baisse de régime.
2015-2018 : Les années fastes
L'éclosion d'Harry Kane lors de la saison 2014-2015 va de pair avec l'ascension fulgurante de Tottenham. Emmenés par un grand Mauricio Pochettino, les Spurs se construisent peu à peu l'image d'une équipe pouvant lutter pour le titre, c'est l'entrée dans une nouvelle dimension. En parallèle, l'attaquant devient une figure charismatique du club, mais aussi de son équipe nationale.
Il connaît sa première sélection avec les Three Lions en mars 2015 contre la Lituanie, pendant laquelle il marque. À l'issue de la saison, il totalise 31 réalisations toutes compétitions confondues, et est nommé meilleur jeune de Premier League. Kane s'affirme comme un attaquant majeur du Vieux Continent.
"Hurrykane" poursuit sur son excellente dynamique. Bien aidé par l'arrivée d'Heung-min Son sur le front de l'attaque, il termine les exercices 2015-2016 et 2016-2017 avec le titre de meilleur buteur (25 et 29 réalisations) en Premier League. L'attaquant est un grand artisan des retrouvailles de Tottenham avec la C1. Il devient capitaine de sa sélection après la retraite internationale de Wayne Rooney.
2017-2018, est certainement sa meilleure saison. Kane annonce la couleur avec une prestation remarquée contre le Borussia Dortmund, dans laquelle il inscrit un doublé. En Ligue des Champions, il termine la phase de poule avec six buts en autant de matchs.
Sur l'année civile 2017, il est meilleur buteur d'Europe. L'attaquant des Spurs marque à 56 reprises en 54 matchs, plus d'un but par rencontre en moyenne. Il est celui qui met fin à l'ère Messi-Ronaldo sur une année civile, une première depuis 2009. En 2017 toujours, l'Anglais est classé dixième au Ballon d'Or, son meilleur rang.
Un attaquant complet
Le jeune attaquant fait peur aux défenses adverses. Complet, à l'instar d'un Robert Lewandowski, Kane peut amener du danger dans n'importe quel zone. À l'aise de la tête et des deux pieds, sa frappe de balle à la fois puissante et précise est une arme redoutable. Tout près du but adverse, c'est aussi un poison, il sait être un "renard des surfaces" en faisant preuve d'une efficacité clinique.
Au-delà de son profil de buteur, Kane pèse sur les défenses. Son physique et son gabarit mettent les adversaires en difficulté, sur les ballons dans les pieds au sol ou sur les duels aériens. Dos au but, pas facile de le contenir. Il se sert de cette force pour participer au jeu de son équipe. Aux cotés de joueurs techniques comme Eriksen ou Lamela, Kane est aussi capable de prendre la profondeur dans le dos des défenseurs centraux, malgré une vitesse limitée.
Mais le plus flagrant quand on s'intéresse à son évolution est l'aspect technique. Lorsqu'il débute avec les Spurs, c'est loin d'être la qualité première de Kane. Il a dû la travailler afin d'améliorer son jeu. Et il fait vite. Dès la saison 2015-2016, on remarque chez lui une plus grande maîtrise du ballon, mais surtout un jeu de passes beaucoup plus fin.
Ce n'est pas Kieran Trippier qui dira le contraire. Le numéro 10 devient spécialiste du décrochage, suivi d'un renversement de jeu vers le couloir droit. Des longues transmissions qui trouvent souvent preneur. L'attaquant aux cheveux blonds devient meilleur, il fluidifie l'élan offensif des Spurs et offre de meilleures possibilités de combinaisons.
Le Mondial 2018 : un leurre
En juin 2018, avant d'entamer la Coupe du Monde en Russie, Kane dispose de la plus grande valeur marchande sur le marché (201 Millions d'euros) selon le CIES. Meilleur buteur de la compétition avec six réalisations, dont trois sur penaltys, la distinction reçue par Harry Kane dissimule un tournoi pas si étincelant.
Lors des deux premiers matchs de poule, contre la Tunisie et le Panama, il inscrit successivement un doublé et un triplé en faisant preuve d'opportunisme. Mais pendant les rencontres à élimination directe, Hurrykane bute sur des défenses plus coriaces, il peine à exister malgré son penalty transformé face à la Colombie en huitièmes de finale.
Muet par la suite, c'est surtout son activité qui est ici remise en cause. Kane touche peu de ballons et semble limité physiquement, notamment quand le match se termine par des prolongations.
2019-2020 : Une régression notable
Bien qu'il réalise une première partie de saison 2018-2019 assez proche de ses standards, la situation se complique pour Kane dès le mois de janvier. La Tour de Londres est victime d'une blessure à la cheville gauche contre Manchester United. Il est de retour fin février. Mais, à croire que Manchester ne réussit pas à l'anglais, il rechute face à City début mars, à la même cheville.
Bonne nouvelle pour Tottenham, "mauvaise" pour Kane, Son et Llorente assurent un intérim de qualité. La dépendance des Londoniens vis-à-vis du numéro 10 commence à ne plus être si évidente. Son absence n'empêche pas les Spurs de réaliser un parcours exceptionnel en Ligue des Champions où, pour la première fois de leur histoire, ils atteignent la finale.
La finale justement, c'est le match pour lequel l'Anglais fait son grand retour. Les attentes braquées sur lui sont énormes. Il est celui qui doit offrir à Tottenham sa première C1 et assumer son statut de leader, mais Kane passe totalement à côté de son match. Une opportunité qui ne se représentera peut-être jamais.
La saison 2019-2020 commence bien pour lui, il inscrit un doublé en quatre minutes contre Aston Villa. Hurrykane devient le joueur ayant atteint la barre des 20 buts en Ligue des Champions le plus rapidement (seulement 24 matchs joués).
Mais l'Anglais se blesse de nouveau en janvier contre Southampton, cette fois à la cuisse gauche, pour une convalescence de trois mois. La suspension de la Premier League, suite à la crise liée au Covid-19, joue en sa faveur. Mais il n'a plus joué depuis six mois. L'attaquant peine à retrouver le rythme, malgré son récent doublé face à Newcastle.
Moins de tirs, moins de buts
Sur les deux dernières saisons, le nombre de tirs par match d'Harry Kane a diminué. Si l'on se base sur les exercices 2018-2019 et 2019-2020, par rapport à sa meilleure saison (2017-2018), la différence est assez nette. L'Anglais est passé de cinq tirs par match à trois.
Sur le plan individuel, ça s'explique par une baisse de confiance et des choix un peu plus altruistes aux abords de la surface adverse.
Le problème, c'est qu'il n'a pas compensé cette carence en s'améliorant dans un autre aspect de son jeu. Par conséquent, son rendement sur le terrain est moins bon. Ses prestations donnent parfois l'impression d'un joueur quasi transparent.
Son ratio de buts par match est aussi affecté. Ce dernier a presque été divisé par deux (de 0,81 à 0,47). Heureusement pour lui, son efficacité reste clinique. Sa baisse de régime en matière de buts est proportionnelle à la chute de son nombre de tentatives.
De plus en plus bas sur le terrain
Peut-être vous est-il déjà arrivé de dire : "Que fait Harry Kane dans le rond central ? Ce n'est pas sa place". Sur les deux dernières saisons, le Britannique couvre des zones de plus en plus basses, notamment pour défendre. Cette tendance est exacerbée depuis l'arrivée de José Mourinho.
En 2017-2018, on peut voir sur la heatmap ci-dessous que Kane occupait surtout les trente derniers mètres dans ses efforts défensifs. L'équipe de Mauricio Pochettino effectuait un pressing haut. En cas de récupération du ballon, l'attaquant était plus proche du but.
Même carte, mais en 2019-2020. Et elle est assez effarante. Les efforts défensifs de Kane se concentrent davantage vers le milieu du terrain. Une position anormale pour un attaquant de son calibre.
La faute de l'équipe ?
Beaucoup diront que l'arrivée de José Mourinho est responsable de ce déclin. C'est en partie vrai, le jeu proposé par le Portugais est diamétralement opposé à celui de Pochettino. Les joueurs offensifs sont amenés à descendre beaucoup plus bas sur le terrain, pour évoluer en contre-attaque et servir un bloc très compact.
Les Spurs subissent ainsi beaucoup, l'entrejeu affiche une maîtrise moindre. La connexion entre le milieu et l'attaque est moins fluide. Le départ d'un joueur comme Eriksen est fatal sur ce point. Tout simplement, son équipe est moins inspirée offensivement. Kane doit s'y adapter, il a donc moins de chances d'engranger les tirs et les buts.
Il existe néanmoins une responsabilité individuelle. Bien sûr, Kane n'a pas été épargné par les blessures sur les deux dernières saisons, mais cet argument est peut-être un trompe-l’œil.
Sa Coupe du Monde 2018 en est une preuve. À bientôt 27 ans, il ne fait plus l'unanimité dans le monde du football. Mais il faut sûrement donner une autre chance à l'Anglais. Cela passe par une préparation rigoureuse pour le prochain exercice, et qui sait ? Il dépassera peut-être de nouveau la barre des 25 buts en championnat.