Histoire d'Euro : Le sacre inespéré du Danemark en 1992
Par Kristen Collie
Un parcours incroyable, digne des plus grands romans. Repêché de dernière minute afin de disputer l'Euro organisé en Suède, le Danemark sera finalement sacré face à l'Allemagne le 26 juin 1992. Retour sur l'une des plus grandes surprises du football contemporain, racontée par Henrik Larsen, héros méconnu et meilleur buteur de cette édition.
"L'équipe de 1992 est notre source d'inspiration et la preuve que tout est possible dans le football si l'équipe travaille dur ensemble. Ces gars sont des héros au Danemark !"
- Joachim Andersen
À l'orée d'aborder l'Euro 2020, Joachim Andersen nous avait confié s'inspirer de ses illustres prédécesseurs. Une génération certes talentueuse, mais loin d'être prédestinée à entrer à jamais dans la légende.
La guerre de Yougoslavie rabat les cartes
Les contes de fée font la part belle aux héros insoupçonnés. Si le Petit Poucet de Charles Perrault est une référence dans le monde de la littérature, l'odyssée 1992 du Danemark est la référence dans l'histoire du ballon rond.
15 jours avant la compétition, l'ONU porte des sanctions contre la Yougoslavie, foudroyée par la guerre. L'UEFA ne tarde pas à exclure la Nation en péril de l'Euro. Non qualifiés initialement, les Danois sont appelés au dernier moment.
Deuxième lors de la phase de groupes des éliminatoires, derrière la Yougoslavie, les coéquipiers de Brian Laudrup ont pourtant définitivement fait une croix sur l'Euro suédois depuis le 13 novembre 1991, date de leur dernier match qualificatif face à l'Irlande du Nord (2-1).
Ainsi, à la fin de saison, les hommes du sélectionneur Richard Møller Nielsen avaient les yeux rivés sur leurs vacances au soleil, plutôt que ce championnat d'Europe organisé chez le voisin scandinave.
"Beaucoup de joueurs avaient prévu leurs billets d’avion pour l’Italie, la Grèce ou l’Espagne, relate Henrik Larsen, le buteur méconnu de cette génération 92. Le coach avait, lui, prévu de rénover sa cuisine."
Sans la star Michael Laudrup
La cuisine attendra. Møller Nielsen doit mettre ses talents de bricoleurs au service de sa Nation.
"On a eu que 4 jours pour se préparer. Donc on est arrivé le lundi et on devait jouer contre l’Angleterre le vendredi. Ce n’était pas l’idéal. "
- Henrik Larsen
"On ne devait pas y participer donc on avait seulement un match amical à jouer contre les Russes, se remémore Larsen, futur meilleur buteur du tournoi. Ça devait être un match amical anecdotique, mais au final c’est devenu un match important pour notre préparation."
Une préparation loin d'être optimale, marquée par une absence notable : le maestro du FC Barcelone Michael Laudrup, en raison d'un différend avec le sélectionneur.
"L’absence de Michael Laudrup n’a pas été un problème au sein de l’équipe, estime cependant l'attaquant danois. C’était l’occasion pour d’autres joueurs de prendre la lumière. Et d’une certaine manière, ça m’a permis d’être titulaire", plaisante-il, avec l'humour qui le caractérise.
Des ambitions mesurées
À l'orée d'affronter l'Angleterre le 11 juin 1992, les attentes sont évidemment minimes, mais pas de quoi ébranler l'état d'esprit de l'équipe.
"On ne voulait pas se rendre en Suède pour prendre 3-0 à chaque match. On avait pour ambition de faire de bons résultats mais évidemment pas de gagner l'Euro, concède Larsen. Notre objectif principal était de ne pas prendre de buts."
Un objectif parfaitement atteint face aux Three Lions, avec ce 0-0 loin d'être mémorable, mais illustrant parfaitement la force collective de cette sélection.
"On ne pensait pas trop aux résultats, mais on croyait en nous. Tout le monde pensait qu’on allait jouer nos trois matchs de groupe et rentrer à la maison. Mais finalement on n’est jamais rentré chez nous (rires)."
Même la défaite face la Suède (1-0), lors du deuxième match, n'atteint pas le moral des Danois :
"Après le nul face à l’Angleterre et cette défaite, on croyait toujours en la qualification pour les demi-finales", admet-il.
Le tournant français
La qualification se joue donc contre l'Équipe de France du capitaine Jean-Pierre Papin, récemment couronné du Ballon d'Or 1991.
"C’était un match où on est passé par toutes les émotions. Je pense que les Français nous ont sous-estimé et pensaient qu’ils allaient se qualifier facilement avec un nul. "
- Henrik Larsen
La condescendance de la bande à Michel Platini, alors sélectionneur, vole en éclats au bout de huit minutes de jeu, et un but de notre interlocuteur : "On a joué un très bon match. J’ai marqué très tôt avec mon pied gauche dans le petit filet droit, se souvient avec émotion Larsen. C’était un beau but, qui était très important pour l’équipe."
Malgré l'égalisation de l'inévitable Papin, seule satisfaction côté français lors de cet Euro, Lars Elstrup, modeste attaquant d'Odense BK, envoie la "Danish Dynamite" en demi-finale pour affronter l'ogre de ce tournoi : le tenant du titre néerlandais.
L'exploit face aux champions d'Europe en titre
Sortir des phases des poules était un miracle. Ce qui va suivre face aux Pays-Bas est de l'ordre de l'irrationnelle. Ronald Koeman, Marco van Basten, Frank Rijkaard, Dennis Bergkamp, Ruud Gullit... Une constellation d'étoiles, sacrée quatre ans plus tôt en Allemagne.
"Ce match est l’une des plus grandes performances de l’histoire de la sélection danoise. "
- Henrik Larsen
Auteur d'un doublé et héros de cette rencontre, Henrik Larsen se souvient :
"C’est indéniablement un des meilleurs souvenirs de ma carrière. Il y avait 2-2 jusqu’à la fin du temps réglementaire et certains de nos joueurs ont dû jouer avec un blessure car on n’avait plus de changements. Mais on a résisté pour arriver jusqu’aux tirs au but".
Deuxième tireur, Marco van Basten, auteur d'un des buts les plus mythiques de l'Euro quatre ans auparavant, échoue face au légendaire Peter Schmeichel. De leur côté, les Danois réalisent un sans faute, et repoussent, une fois de plus, les frontières du possible.
26 juin 1992 : l'apothéose
La finale oppose l'Allemagne de Jürgen Klinsmann à l'anomalie danoise. Un match pour l'histoire. 90 minutes pour écrire l'une des plus belles pages du football.
"Après le match des Pays-Bas on était tous cramés et on a eu que quatre jours de repos avant la finale, rappelle Larsen. La vérité, on a fait une petite soirée après la victoire en demies et on s'est couché mardi matin pour jouer la finale le vendredi", révèle-t-il, sourire en coin.
L'adrénaline a finalement pris le dessus sur la fatigue, permettant aux Scandinaves de se sublimer. "Ce n'était pas la préparation optimale, mais après le premier but de John Jensen on a retrouvé toutes nos ressources et on a s’est tous dit 'on peut le faire'."
Au bout de l'effort, la consécration, l'apothéose, l'Olympe :
"À la fin du match on s’est tous enlacés, on était tous en larmes. C’était l’euphorie ! "
- Henrik Larsen
"Après on a fait la fête évidemment ! D’abord à notre hôtel, puis à Copenhague où on a paradé en bus avec 150.000 personnes en folie. C’était incroyable ! Pour un petit pays comme le Danemark, ça n’arrive qu’une fois dans une vie", révèle Larsen, les yeux toujours dans les étoiles.
"Pendant le tournoi, on ne réalisait pas l’ampleur de notre exploit, et on ne mesurait pas la ferveur du peuple danois, nous confie-t-il. C’est avec du recul qu'on réalise, en voyant des gens qui viennent vous parler de 92 comme si on était des héros ou des sources d’inspiration, souligne-t-il.
Ce parcours est aussi la concrétisation des bonnes performances de la sélection avant cet Euro, tient-il à mettre en exergue. Notre génération a été inspirée par celle qui a participé aux Euro 84 et 88 et au Mondial 86 au Mexique. C’est eux qui ont posé les fondements de notre sacre."
L'Euro 2020 comme en 1992 ?
Un passage de flambeau triomphant, qui pourrait trouver un nouvel écho lors de cet Euro 2020 ?
"Ils ont leur chance ! En phase à élimination directe tout est possible, et on est bien placé pour le savoir."
- Henrik Larsen
"Cette fois ils n’auront pas leur public comme en phase de groupes, nuance-t-il. Nous en Suède, de nombreux supporters danois étaient venus nous supporter pendant tout le tournoi car il pouvait prendre le ferry, c’était facile d’accès. On a vu face à la Russie (victoire 4-1, ndlr) à quel point nos supporters peuvent nous transcender."
Sans ses supporters, mais avec le même état d'esprit, les partenaires de Kasper Schmeichel, légitime héritier de son père, rêvent forcément de suivre les traces de leurs illustres prédécesseurs.
"L’important était que l’équipe se mette au diapason et donne le maximum. Et ils l’ont déjà fait, dans un contexte difficile (en référence au malaise de Christian Eriksen, ndlr). Donc on peut déjà être fier d’eux", conclut-il parfaitement.