Interview exclusive : L'internationale française Kenza Dali se confie sur l'expansion du football féminin
Dans le cadre du Women Summit organisé par EA Sports à Londres, où EA a pu dévoiler que la Ligue des champions féminine ferait son apparition dans FIFA 23, nous avons pu discuter avec Kenza Dali. Cadre des Bleues, où elle compte quasiment 50 sélections, la milieu évolue en Angleterre depuis quelques saisons déjà. Après des passages à West Ham et Everton, elle a rejoint Aston Villa l'été dernier. Et elle a pu revenir sur l'expansion du football féminin, ces dernières années.
Tu as été formée à Lyon et l'OL est vraiment un pionnier du football féminin. Mais aujourd'hui, le football féminin est en train de prendre une très grande importance en Angleterre. Comment compares-tu l'évolution entre les deux pays ?
"On était vraiment en avance en France. On était un peu les pionniers du football féminin, grâce notamment à Jean-Michel Aulas. Il a été visionnaire et il a investi très tôt dans le football féminin. Il a mis les moyens et il s'est donné les moyens de construire une belle équipe. Il a le mérite d'avoir eu la vision avant tout le monde. Je pense que l'OL a vraiment été une locomotive du foot féminin et ça restera historique pour tout ce qu'elles ont fait avant et tout ce qu'elles continuent de faire encore. L'année dernière, elles ont remporté la Ligue des champions.
La grosse différence aujourd'hui entre la France et l'Angleterre, c'est forcément une question de moyens. Quand vous voyez que Sky Sports ou BBC mettent énormément d'argent, ça aide les clubs à investir plus d'argent. Et forcément, l'argent entraîne l'argent, il faut être honnête. Ce qu'il manque aujourd'hui dans le foot féminin, c'est de trouver des gens qui disent : "OK, je vais mettre de l'argent. Ça ne va peut-être pas me rapporter financièrement parlant. Mais ça va me rapporter en termes d'image, en termes de plein d'autres choses". Il n'y a pas un retour sur investissement, tout de suite. Mais il y a aussi d'autres aspects, où l'on peut se dire qu'on y gagnerait.
En Angleterre, il y a eu ce moment où ils ont investi énormément d'argent et c'est pour cela que ça a marché. Et il y a aussi le fait que les Anglais savent vendre le produit. En Angleterre, quand vous regardez un match à la télé, la manière dont s'est filmée, avec la caméra qui bouge. Ce n'est pas une caméra fixe, avec une lumière très basse. Quand je regarde, sans insulter personne, Fleury en France, il joue dans un stade sur un synthétique. Même pour moi, avec des amies dans l'équipe, c'est dur à regarder. Quand on se met sur la BBC et qu'on regarde un Arsenal - Manchester United, la caméra suit les mouvements. Il y a différents angles. Il y a des ralentis. Il y a un beau stade. Il y a du monde... Ça change le produit !
Ce n'est pas le football qui est meilleur en Angleterre, si on parle juste de football, de qualité des joueuses et de qualité du football pratiqué. C'est juste que la manière dont s'est vendue, forcément, vous allez attirer plus de personnes. C'est comme tout produit marketing ! On peut vendre une canette d'une manière incroyable, ça ne veut pas dire que la canette d'à côté est moins bonne. C'est juste qu'avec la façon de la vendre, les gens vont en consommer plus. Je trouve que le football féminin, et déjà je déteste parler de football féminin, je parle de football, c'est un produit qu'il faut vendre mieux.
Il y a des buts qui sont marqués en D1 qui sont incroyables, mais la manière dont c'est filmé, c'est juste terrible. Le but, il ressemble à rien. En Angleterre, tu marques un but, il y a trois angles différents, il y a un ralenti, il y a une caméra proche de la télé. Tu vois la frappe, tu vois le mouvement de la joueuse, et le spectateur qui regarde peut trouver ça joli. En début de saison, les joueuses d'Arsenal ont joué à l'Emirates Stadium, nous, on a joué à Villa Park. À la télé, le grand stade, ça change tout. Il faut savoir comment le produire, comment le vendre et comment le filmer, et après le foot féminin pourra attirer plus de personnes."
Justement, la sortie de FIFA peut aider à cela, puisqu'il met les joueuses à l'honneur, sur cet événement, mais aussi dans le jeu. D'ailleurs, est-ce que tu joues à FIFA ?
"Je joue, mais j'essaye de me limiter, parce que je suis une grande lectrice aussi. J'aime bien lire beaucoup de livres, en-dehors du football. Sur tout ! J'ai une bibliothèque à la maison. Je suis une mangeuse de livres. On me le dit d'ailleurs tout le temps en équipe nationale. J'aime trop lire depuis que je suis toute petite. J'ai des parents qui ne savent pas lire, parce qu'ils n'ont jamais été à l'école. Et ils m'ont toujours encouragé à ouvrir des livres. Eux, ils n'ont pas eu ce privilège. Je considère que pouvoir ouvrir un livre est une bénédiction.
Donc, je ne passe pas énormément de temps sur les jeux. Mais j'aime trop le foot, donc je joue à FIFA ! On joue à FIFA en déplacement aussi. C'est de la compétition et on adore la compétition (rires). Je trouve ça génial. On avait déjà nos avatars avant en tant que joueuses internationales. C'est en 2016 que les joueuses ont été introduites dans le jeu. Mais c'est différent avec le club ! C'est différent de se voir avec le maillot que tu portes le plus au quotidien."
Et c'était un rêve pour toi d'être présente dans FIFA ?
"La première fois que j'ai pu me voir dans FIFA avec l'équipe nationale, en 2016, je me suis dit que c'était lourd ! C'était trop bien ! Quand ton avatar est créé, ils te mettent les capteurs et c'est trop bien. La manière dont ils font l'avatar, tu as plusieurs caméras qui tournent autour de toi. Mes neveux, qui sont tout jeunes, puisqu'ils ont 12 ans, aiment trop FIFA et je leur montre l'envers du décor.
Je vois dans leurs yeux que c'est un truc de fou d'avoir leur tante dans le jeu et c'est à travers eux que je vois l'impact auprès de la nouvelle génération. C'est parce qu'autour de moi, j'ai des petits. Je le vois quand je donne le jeu à mes neveux. Je vois dans leurs yeux à quel point c'est important. J'ai la chance d'avoir ça à la maison et de mesurer tout le chemin qu'on a parcouru.
Et même pour certains pays où pour la femme, c'est difficile, j'espère que ce jeu peut ouvrir l'esprit. C'est difficile encore pour elle de prendre part au foot. Il y a des milliers de jeunes filles en Afrique, en Inde etc... qui adoreraient jouer au foot, mais qui n'ont pas ces opportunités. Elles ont beaucoup de barrières au niveau culturel ou traditionnel. Je le sais, je suis d'origine algérienne, j'aimerais tellement que l'Algérie ouvre son esprit. Ils font des efforts avec l'équipe nationale, mais ils sont encore derrière.
On en est encore là où dans certains pays, il y a des petites filles qui ne peuvent pas jouer. On dit que le football est le sport du peuple ! Et j'adorerais que dans les écoles en Afrique, en EPS, tu puisses faire du foot, même en tant que fille. Il y a encore ces barrières-là et j'espère qu'un jeu, présent dans le monde entier, va changer ça. Par exemple, voir cette petite fille dire à son père : "Tu vois papa, dans le jeu, il y a des filles". C'est important.
Quand tu étais jeune, est-ce que tu imaginais un jour jouer à ce niveau-là ? Et est-ce que tu imaginais que les joueuses allaient remplir les stades, qu'il y ait un Ballon d'Or féminin, qu'il y ait les joueuses sur FIFA... ?
"Honnêtement, je n'ai jamais pu l'imaginer, parce que je n'avais pas de modèle. Je n'avais pas ça devant moi. En fait, je ne me suis jamais dit qu'un jour, je jouerai dans un grand stade ou qu'un jour, je jouerai en Équipe de France. J'ai eu ma première licence à 5 ans. Je jouais avec les garçons. Et je n'ai jamais eu cet objectif d'être professionnelle. J'ai toujours joué pour l'amour du football. Après, ça a été une succession d'opportunités.
Plus tard, j'ai eu Marta comme modèle. C'était vraiment la joueuse de notre génération... Et encore, je l'ai découverte tard. Je l'ai découverte à 15 ans ! Quand tu commences le foot à 5 ans, il se passe près de dix ans où je n'ai eu que des figures masculines comme exemples et comme flocages sur les maillots. Je n'avais jamais eu un nom de fille dans le dos. Et là, j'avais Marta en exemple. C'était la première joueuse où je me suis dit : "Wouah, ça c'est de la joueuse ! Moi aussi, je veux faire ça".
Aujourd'hui la nouvelle génération, dès 10 ans, elle veut être professionnelle ! Moi à 10 ans, je voulais juste jouer au foot. Et aujourd'hui, j'en suis là parce qu'il y a eu une succession d'opportunités. Mais ça n'a jamais été un objectif. Bien sûr, quand j'ai intégré l'académie de Lyon, c'est devenu un objectif, mais j'avais déjà 15 ans. Avant ça, je n'ai jamais eu comme objectif d'être professionnelle."
Est-ce que tu sens, aujourd'hui, cette responsabilité que tu as auprès de la nouvelle génération ?
"Complètement ! Après, je ne le prends pas comme une responsabilité. Je le prends comme une opportunité. Je ne me dis pas qu'il faut que j'inspire les gens. Je me dis qu'il faut rester soi-même et si ça inspire les gens tant mieux. Ce n'est vraiment pas un rôle. Je suis juste moi et si des filles ont des questions, j'essaye toujours de répondre sur mes réseaux. J'ai plein de messages. Franchement, ce n'est même pas un cliché de dire ça. J'ouvre mes DM et je ne vois que des jeunes filles me demander : "comment, moi aussi, je peux devenir footballeuse pro ?", "quels sont tes conseils ?" etc..."
Et quels sont tes conseils pour ces jeunes joueuses alors ?
"Déjà, c'est de conserver l'amour du foot. Aujourd'hui, oui, il y a de l'argent, des contrats, des sponsors... Mais garde ta passion ! Je leur dis toujours de garder cette flamme. Pour ma part, j'ai toujours cette flamme quand je joue. Le jour où je ne l'aurai plus, je penserais à arrêter. Je joue toujours comme quand j'avais 15 ans. J'ai toujours cet amour du foot. Je vais dans les stades et je regarde tout : les petits, les grands... J'aime trop le foot. Et je leur dis toujours de ne pas être aveuglées par ce qu'elles peuvent voir sur les réseaux sociaux. Gardez cette passion et cette passion vous conduira à de grandes choses. Ne perdez pas cette passion !"
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