Interview Exclusive : Les confidences de Marion Torrent avant le quart de finale des Bleues contre les Pays-Bas
J-1 ! Ce samedi soir, la France dispute son quart de finale de l'Euro 2022 contre les Pays-Bas. Après un premier tour maîtrisé, les Bleues entrent désormais dans le vif du sujet. Mais comment est-ce que les joueuses de Corinne Diacre abordent cette rencontre tant attendue ? Marion Torrent a accepté de répondre à nos questions, à la veille de cette affiche de gala.
Tout d'abord, comment allez-vous après ces 15 premiers jours de compétition ?
Ça va plutôt bien. On a fait le plus gros du chemin. On arrive désormais aux matchs décisifs. C'est sûr que la pression monte d'un cran, mais on est plutôt confiante. Et puis on a surtout hâte que les matchs passent et qu'on aille au bout.
Depuis 2017, vous êtes présente avec les Bleues. Vous comptez désormais 47 sélections. Est-ce toujours une fierté de porter le maillot de votre sélection ?
Bien sûr ! De toute façon, ça ne se mesure pas au nombre de sélections. On peut avoir autant de pression sur un match amical que sur un match de compétition puisqu'on représente un pays, on représente un club. Et puis, on a envie de prouver nos qualités ! La première sélection est toujours particulière. Mais ensuite, on va dire que 47 sélections, 50 ou même plus, c'est la même chose.
Il y a eu des débuts très convaincants. La France termine en tête du groupe D, avec sept points pris. Comment jugez-vous l'entame des Bleues dans cet Euro 2022 ?
Le premier match, on ne s'attendait pas à réaliser une telle entame. Après, ce n'est pas si surprenant parce que c'est vrai qu'à la Coupe du monde, on avait également commencé très fort (NDLR : victoire 4-0 contre la Corée du Sud). On avait tellement hâte et tellement envie de commencer. On a vite étouffé l'Italie et on a proposé du beau jeu. On s'est fait plaisir, on a fait plaisir à tout le monde.
Sur le deuxième match, on a été plutôt convaincante sur les premières minutes et puis après, on a su tenir le score. Ça fait partie aussi de nos qualités de pouvoir conserver un score. Au troisième match, même s'il n'y avait pas forcément d'enjeu, on avait quand même cette volonté de gagner. Après, c'était quand même un adversaire difficile, qui a mis beaucoup d'impact physique. On a joué beaucoup plus que 90 minutes. C'était quand même un match assez intense.
Comme vous l'avez dit, il n'y avait plus d'enjeu contre l'Islande. La France était déjà assurée de terminer en tête. Est-ce que ça joue dans les têtes ? Surtout que les Islandaises luttaient pour la qualification.
Ce qu'il faut dire, c'est qu'on ne l'a pas abordé comme un match facile. On avait quand même l'envie de gagner et c'est toujours bien aussi de se mesurer face à des équipes qui ont d'autres qualités. L'Islande se rapproche un peu de la Suède. C'est bien aussi de pouvoir se jauger face à des équipes comme ça. Et comme je le répète, en arrivant en compétition, ce n'est plus la même chose que lors des amicaux. Pendant les matchs amicaux, ce n'est pas la même envie de se transcender. Il fallait répondre présente. Et puis aussi marquer un coup par rapport aux autres équipes de la compétition.
L'Euro 2022 a déjà battu des records d'affluence après la phase de poules. Est-ce que vous sentez cette ferveur avec les fans tricolores ?
Dans les stades, on aperçoit quand même des spectateurs. Après, on ne va pas se mentir, on le ressent davantage quand on est en France. Et surtout lors de la Coupe du Monde 2019. Ici, c'est différent. Par exemple, face à l'Islande, on a quand même vu pas mal de supporters islandais de tous les côtés. Ils étaient un peu éparpillés dans tout le stade. Nous, on a nos proches derrière nos bancs. Après, il y en avait un peu dans la tribune d'en face. On a quand même quelques supporters et heureusement. Mais c'est vrai qu'il n'y a pas forcément beaucoup de supporters français dans le stade. Et on sent que contre les Pays-Bas, avec tout un peuple qui vient les supporter, ça peut peut-être jouer en leur faveur. Maintenant, on y est préparée. Et je ne pense pas que ça va trop nous impacter.
Justement, vous avez vos proches avec vous. Quel est leur impact sur l'effectif ? Pouvez-vous les voir régulièrement ?
On peut les voir de loin. Il y a quand même un protocole qui est mis en place par l'UEFA. Passer du temps avec eux, c'est compliqué. On avait eu un créneau où on a pu passer du temps avec nos proches en respectant bien les gestes barrières. Mais après, c'est vrai qu'avec le Covid, c'est un peu plus compliqué. On a la chance quand même de pouvoir les apercevoir. Et discuter un peu avec eux, ça fait du bien. Maintenant, il reste au maximum dix jours, donc on ne va pas se relâcher. On sait qu'ils sont derrière nous. Et de toute façon, avec la technologie d'aujourd'hui, on peut les voir d'une autre façon.
"Aujourd'hui, Corinne Diacre a confiance en son groupe et nous on a confiance en elle !"
- Marion Torrent
D'un point de vue extérieur, on a l'impression que le groupe vit très bien. Vous étiez déjà présente pour la Coupe du Monde 2019. Est-ce que vous pouvez comparer l'atmosphère entre ces deux compétitions ?
C'est un avis personnel, mais je pense qu'à la Coupe du Monde, c'était plus délicat. Une Coupe du Monde en France. L'impact médiatique. Une ferveur gigantesque. Beaucoup de pression. Là, on se connaît depuis longtemps. On a vécu une compétition ensemble. Il y a également eu le fait de retarder d'un an la compétition de l'Euro. On a eu encore du temps ensemble pour travailler, pour se préparer, pour se connaître...
Donc, de toute façon, l'émotion, ce qu'on peut vivre ensemble, ça nous permet de créer des souvenirs, des situations. Et c'est aussi ce qui nous permet de rester soudées et de pouvoir créer une mentalité, un état d'esprit. C'est sûr que la mentalité et l'ambiance est meilleure à l'heure actuelle qu'avant. Mais elle n'était pas négative avant ! C'est juste qu'on a eu plus de temps pour se connaître.
Et ça peut jouer dans les matches les plus compliqués...
Je pense que oui, ça jouera. C'est sûr ! De pouvoir créer une solidarité. C'est le plus important. Savoir que telle joueuse, je sais qu'elle n'est pas dans son match, je peux l'aider. Ça va pouvoir créer une émulation et pouvoir nous tirer toutes vers le haut.
On voit également ça avec Corinne Diacre. La sélectionneure des Bleues est beaucoup plus expressive, durant les matches, mais également après. Est-ce que vous le sentez en tant que joueuse ?
C'est vrai qu'on la voit un peu plus expressive. Après, depuis quelques années maintenant, à l'entraînement ou en match, elle est peut-être différente par rapport à la Coupe du Monde. Mais comme je dis, à la Coupe du Monde, il y avait beaucoup de stress. Là, il y a un certain relâchement qui permet de pouvoir s'exprimer davantage. Elle avait peut-être, besoin d'avoir confiance en son groupe. Et ressentir la confiance du groupe !
Aujourd'hui, elle a confiance en son groupe et nous on a confiance en elle ! Donc, à partir de ce moment-là, il se créait quelque chose et tout le monde se sent mieux dans ses baskets. En tout cas moi, c'est ce que je ressens. Quand on dit que le groupe vit vraiment bien, c'est vraiment le cas. On ne va pas s'inventer des histoires. De toute façon, ça se voit dans les images !
Vous faites partie des cadres de cet effectif. Vous avez désormais 30 ans et vous disputez votre deuxième grande compétition ! Quel est votre rôle dans le vestiaire ? Est-ce que Corinne Diacre vous a donné une mission auprès des jeunes joueuses ?
Pas forcément. Ça n'a pas été dit ouvertement. Après, c'est un rôle que je peux avoir aussi dans mon club. Donc, ça se fait naturellement. Souvent, les cadres sont là pour "remettre les joueuses dans le droit chemin". Mais il n'y a pas forcément besoin parce qu'on est toutes des professionnelles. Que ce soit de la plus jeune à la plus ancienne et la plus expérimentée. On est quand même professionnelle et on sait ce qu'il faut faire dans une compétition.
Donc, il n'y a pas trop de boulot dans ce domaine-là. Mais après, quand il y a certaines joueuses, où tu sens que ça se passe un peu moins bien. Tu sens qu'elle est un petit peu touchée dans quelque chose. J'ai pour habitude de la prendre plutôt à part et de discuter. On sait que ça peut faire du bien. Il faut la remettre dans le positif. Quand tu es dans une spirale, et qu'elle devient négative, tu peux enrouler les autres et puis t'enfoncer.
Et puis, j'aime bien aider les gens. C'est pour ça aussi que j'ai fait des formations, en-dehors du foot, pour aider les gens. Ça me permet aussi de pouvoir tenir ce rôle. C'est quelque chose que je fais naturellement et de bon cœur. Parce que je pense, de la plus expérimentée à la plus jeune, si elle n'est pas bien dans sa tête, ça n'ira pas au foot.
Surtout qu'on imagine que c'est très éprouvant. Avant la compétition, il y a eu une longue préparation...
C'est vrai ! Et il y a aussi une grosse saison avant. Pour certaines, elle a été plus longue que d'autres. Donc il peut y avoir aussi une certaine overdose de football. Bon, ce n'est pas le cas, parce que quand il y a des compétitions, il y a cette adrénaline. Mais après chacune a son ressenti. Chacune appréhende la compétition différemment. Donc il faut que chacune soit là pour l'autre, parce qu'on est un groupe et que, pour moi, tout le monde est importante.
D'ailleurs quelle est votre relation avec Ève Périsset ? Vous êtes en concurrence pour le poste de latérale droite. Est-ce que vous échangez quelques conseils avant un match ?
Pas forcément. Après, il n'y a pas de problème. On a toutes un protocole différent avant les matches. C'est vrai que moi, j'ai un rituel bien particulier avec Sakina (Karchaoui). Mais chacune a le sien parce qu'on vient aussi de différents clubs.
Et c'est quoi votre rituel d'avant-match avec Sakina Karchaoui, alors ?
On aime bien se motiver mutuellement. Quand on joue toutes les deux, à partir du moment où l'on est à l'échauffement, on a un petit moment ensemble. On s'étire, on se donne des conseils, on se motive... Avant le match, on se souhaite toujours "bon match" en dernier. Et puis à la mi-temps, on vient se dire ce qu'on pense : ce qui est bien et ce qu'il faudra améliorer. Tout en étant objective parce qu'il faut être sincère avec son amie ! Pour lui dire clairement, si ça va, ça va ! Mais si ça ne va pas, je te le dis pour que tu puisses améliorer. Ça, c'est important pour nous. On a ce petit rituel depuis bien longtemps à Montpellier. Et puis, ça a perduré avec le temps !
D'ailleurs, qui met l'ambiance de le vestiaire des Bleues ?
On va dire qu'on est quand même un groupe où chacune peut mettre l'ambiance. Ça dépend de l'humeur. Ça dépend aussi de l'état de forme. On est pas mal à en mettre ! Il faudrait peut-être demander à toutes les joueuses de faire un pronostic pour dire qui met le plus d'ambiance. Mais de toute façon, dès qu'il y en a une ou deux qui la met, ça suit très vite après.
"On n'est pas 11 sur le terrain, on est 23 !"
- La latérale droite des Bleues
Et durant votre temps libre, entre les matches, comment occupez-vous vos journées ?
Tout dépend de la journée ! Quand on a la possibilité de faire des retours vidéos collectifs, on le fait. Et ensuite, l'après-midi avant les entraînements, on a nos siestes. Souvent, on regarde les matches de la compétition toutes ensemble, le soir. On a une salle de vie qui est plutôt bien aménagée et qui nous permet de pouvoir nous divertir et de regarder les matchs ensemble. Après, on arrive à décortiquer des joueuses. "Ah, tu as vu celle-là, elle joue comme-ci. Il faut faire attention". C'est bien aussi de les voir ensemble ! Ça nous permet de faire un travail vidéo inconsciemment.
Pendant notre temps libre, on peut toujours aller dehors. On a des jeux de société, une table de ping-pong... Il y a quand même pas mal de choses pour nous divertir. Et après ça, il reste les choses basiques : les séries, le coup de téléphone aux proches, la lecture...
Lors du match contre la Belgique, il y a eu la grave blessure de Marie-Antoinette Katoto. Vous perdez l'une des meilleures joueuses de la planète. Mais est-ce que ce forfait peut également se transformer en motivation supplémentaire pour le groupe tricolore ?
Bien sûr ! Ce malheur, on va le prendre et le transformer en une force. Parce qu'on a envie d'aller au bout de toute façon. Et puis on a envie de le faire aussi pour Marie-Antoinette ! Parce qu'on sait très bien qu'une blessure comme ça, ça va du mettre du temps. Je sais que ça l'a touché, parce qu'il y avait aussi beaucoup d'attentes autour d'elle pour cet Euro. Maintenant, je sais aussi qu'elle est derrière nous. On a aussi des joueuses qui peuvent jouer à ce poste d'avant-centre et qui ont été performantes également !
On a un groupe de 23. On sait aussi qu'on peut pallier à toutes les absences. Et c'est ça qui fait aussi notre force. On n'est pas 11 sur le terrain, on est 23. Même s'il y en a une qui se blesse, on peut toujours la remplacer par quelqu'un. Après, il faut faire attention à ne pas rentrer dans le jeu des comparaisons. Parce que toute joueuse est différente. Chacune a ses propres qualités, qui peuvent permettre à l'Équipe de France de gagner un match.
On a confiance en nous et on croit en nous. Et c'est sûr que si on remporte l'Euro, Marie-Antoinette en fera partie bien évidemment.
Il est vrai que la profondeur d'effectif des Bleues est incroyable. Melvine Malard a eu besoin de moins d'une minute pour marquer contre l'Islande. Et dans ce genre de compétitions, c'est aussi ça qui peut faire la différence...
Bien sûr. Parce que c'est justement une compétition, avec des matches rapprochés. Avec cette intensité ! Il faut faire appel à tout le monde. Et ça permet également de pouvoir se dire, à n'importe quel changement, je peux le faire les yeux fermés, parce qu'il y a une titulaire, mais une titulaire bis également. Donc c'est pour ça, qu'aujourd'hui, Marie-Antoinette est partie parce qu'elle est blessée, mais on a la possibilité d'avoir plusieurs choix à son poste. Et on a confiance en ces choix.
Il y a eu une grosse préparation physique avant la compétition. Est-ce que l'objectif du staff est de vous permettre d'arriver au mieux pour ce stade de l'Euro ?
Tout a été calibré pour qu'on arrive, à une certaine date, à avoir ce pic de forme. C'est ce qu'on apprend en termes de préparation physique. Je sais de quoi je parle parce que, justement, j'ai des formations par rapport à ça. Dans la préparation physique, il faut toujours taper fort pour avoir un niveau de forme par rapport à une date précise. Je pense qu'ils ont une date précise et qu'ils savent qu'il y aura peut-être un petit coup de moins bien à un certain moment. Au fur et à mesure du temps, ça va reprendre. On sera alors sur une pente ascendante.
"Les quart c'est une étape qu'on a eu du mal à franchir. Après, ce n'est pas une fin en soi. Si tu passes les quarts, mais que tu perds en demi..."
- La joueuse de Montpellier
Comment est-ce que vous abordez ce quart de finale contre les Pays-Bas, champions d'Europe en titre ?
Notre force, c'est quand même de mettre pas mal d'intensité dans les 15 premières minutes. Pour l'instant, on n'a pas encore mis en place notre tactique. Tout ça, ça se met en vidéo et ça se met en pratique. On va le faire cet après-midi (NDLR : ce jeudi dernier), donc c'est un peu trop tôt pour le dire. Il y a quand même pas mal de personnes qui travaillent sur l'équipe des Pays-Bas. Je pense que c'est aussi le cas des Pays-Bas, parce qu'on a pu les voir dans les tribunes lors de notre match. Ils sont là aussi à faire des analyses vidéo. Mais nous, on a une grosse équipe qui permet d'analyser les matches des Pays-Bas. On leur fait confiance pour trouver les failles, dans l'optique de les mettre en difficulté.
Il y a aussi ce cap des quarts de finale à passer. Est-ce une motivation supplémentaire de pouvoir faire mieux que les précédentes générations ?
Je sais qu'on en parle souvent parce que justement, les quarts c'est une étape qu'on a eu du mal à franchir. Après, ce n'est pas une fin en soi. Si tu passes les quarts, mais que tu perds en demi... Je pense qu'on l'appréhende comme un match à élimination directe. C'est une étape pour aller au titre. C'est une étape qu'on va essayer de franchir. Et pour, on l'espère, les prochains matchs, garder la même réflexion. C'est sûr que si on passe l'étape des quarts de finale, on "entrera dans l'histoire des Bleues". Mais nous, on veut entrer dans l'histoire en gagnant l'Euro.
On a appris le forfait de Lieke Martens, l'une des star des Pays-Bas, en début de semaine. Vivianne Miedema revient tout juste du Covid-19. Est-ce que cela change votre préparation de ce quart de finale ?
Non. Il ne faut pas tomber dans ce piège justement. Ce que l'on met en pratique de notre côté, en se disant que chaque joueuse peut en remplacer une autre, pour les autres équipes, c'est la même chose. Après, c'est vrai que ce sont deux joueuses avec une renommée. Mais ça ne changera rien pour nous !
Déjà titrée à l'Euro avec les U19, l'objectif c'est d'ajouter ce titre avec l'équipe première désormais ?
Oui, bien sûr ! Ça serait bien. Pour récompenser nos efforts ! Et puis surtout, pour envoyer un beau message au football féminin français. Et aussi amener autant de plaisir que nous procure cette compétition à tous nos supporters, à nos familles, à nos proches. Et voilà, ça serait quand même une belle récompense vu le travail qu'on fournit depuis très longtemps maintenant.
Surtout qu'un titre européen peut vraiment faire décoller le foot féminin en France !
C'est vrai. Sachant que, déjà à la Coupe du Monde, ça a permis d'avoir un gros impact. Il y a eu petit moment de relâchement, mais ce qui est normal, parce qu'il y a eu aussi la crise sanitaire. Mais là, ça permettrait également de pouvoir remonter le nombre de licenciés et de pouvoir développer davantage le football féminin français. Et puis également pour avoir un titre. On fait aussi un sport de compétition pour gagner des titres.
D'ailleurs, est-ce que vous êtes déjà allée à Wembley ?
Non et j'aimerais bien (rires).