Interview - Jérémy Felkowski, auteur de "Nous sommes les Marseillais"
Par Sami Yansi
L'Olympique de Marseille met actuellement le feu sur le marché des transferts. Ce qui enchante, bien évidemment, les supporters marseillais. L'OM est un club à part, un monde à part. Pour comprendre cette ferveur singulière, 90min a interviewé le journaliste Jérémy Felkowski, auteur de "Nous sommes les Marseillais", un recueil de témoignages de supporters olympiens.
Présente-toi ?
Je suis Jérémy Felkowski, journaliste cofondateur du média en ligne « Le Zéphyr » et également auteur de « Nous sommes les Marseillais », qui est un recueil de témoignages dédié aux supporters de l'Olympique de Marseille.
"L'appareil médiatique s'est emballé et on a commencé à insulter les supporters de sauvages, de barbares, voire même de terroristes... "
- Jérémy Felkowski
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
L'idée de ce livre m'est apparue quand j'ai vu ce que l'on disait sur les supporters de l'OM après les événements de la Commanderie en janvier dernier. Très rapidement, l'appareil médiatique s'est emballé et on a commencé à insulter les supporters de sauvages, de barbares, voire même de terroristes...
Je l'ai entendu sur des antennes, dont je tairai le nom, et cela m'a paru totalement incompréhensible et surtout je n’ai pas pu le tolérer. Je n’ai vraiment pas pu tolérer qu'on traite les supporters de l’OM de cette manière, sachant que je suis l'un de ses supporters, et qu'autour de moi, il y a d'autres supporters qui sont profs, avocats, flics.
Qu'ils soient managers, qu'ils soient simplement des ouvriers ou des étudiants, ces gens-là ne sont clairement pas des terroristes, voire même des barbares. Ce sont des gens formidables et je voulais leur donner la parole, tout simplement.
Au-delà de cette simple réaction, ce que je voulais c'était apporter une réponse claire à ces gens, franche et surtout une réponse qui soit à la fois constructive et positive. Clasher des gens sur Internet en les traitant d'abruti et en disant que ce qu'ils ont fait c'est mal, c'est très simple, mais ça va s'envoler en deux secondes. Ça va disparaître aussi rapidement que c'est apparu. Je voulais quelque chose qui soit une trace durable, une trace qui soit vraiment palpable et finalement qui soit aussi une fierté pour ses supporters.
Quel est le témoignage qui t’a le plus marqué ?
Dans l'absolu, les 161 témoignages m'ont touché. Il y en a un qui m'a particulièrement ému, je crois même en avoir lâché une petite larme. C'est le tout dernier qu'on peut lire sur le livre. C'est le témoignage d'un supporter qui est artiste, rappeur et compositeur. Et qui me parle de sa grand-mère qui lui a fait découvrir l’OM.
Elle provenait de Strasbourg. Elle faisait les déplacements, ce qui veut dire 1000 kilomètres (aller-retour). Et cette dame avait le club de l'OM au fond du cœur. Malheureusement, elle est décédée, il y a quelques temps et a tenu à être enterrée, avec son maillot et son écharpe OM.
Et dans le bouquin numérique, nous avons des photos de son cercueil et de cette dame, finalement de son vivant, avec son écharpe du club et pour moi c'est un symbole. Cela veut dire que l’OM, on l'emporte jusqu’après la vie.
"À une époque où on lèche les bottes de Mbappé, il faut savoir que le seul qui a obtenu un Ballon d'Or dans un club français, c'est Jean-Pierre Papin et je lui dois une part de ma vie."
- J. F.
Pourquoi l'OM ?
Ce qui m'a fait aimer le club de Marseille, c'est une découverte. On est en septembre 1988, je zappe la télé, je zappe sur "Jour de foot" et là je tombe sur le résumé de match OM- Nantes il me semble et je vois un petit bonhomme d’un mètre 60 qui traverse la foule, qui traverse le terrain à la vitesse d'un éclair de Zeus, et il écœure 3, 4, 5, 6 adversaires pour planter une patate monumentale dans la lucarne.
Quand on le voit jouer, on a l'impression que les autres sont au ralenti et que lui est peut-être animé de pouvoirs surnaturels. J'ai l'impression de voir un super-héros à ce moment-là, comme un dessin animé. Et ce n'est que le lendemain matin que je découvre son nom. Cet homme s'appelle Jean-Pierre Papin. Je lui dois une partie de mon existence. Je lui dois une partie de mon identité et ma passion pour l’OM.
Parce qu’au delà de ce match, ça m'a attiré vers l'OM, ça m'a poussé à me cultiver. Après le club, après les joueurs etc… j'ai découvert la ville de Marseille, j'ai découvert la Provence, j'ai découvert les auteurs issus de la région…
En me cultivant, je suis devenu marseillais, mais voilà ce qui m'a fait aimer le club, c'est ce grand monsieur. Il est le seul Ballon d'Or dans un club français. À une époque où on lèche les bottes de Mbappé, il faut savoir que le seul qui a obtenu un Ballon d'Or dans un club français, c'est Jean-Pierre Papin et je lui dois une part de ma vie. Donc je lui dis que je l'aime et que je le remercie.
Quel match t’a le plus marqué ?
Il y a beaucoup de matchs qui m'ont marqué. Je ne sais pas si je peux en sortir un, parmi tous les autres. C’est facile de dire la finale de la Coupe d'Europe en 93 ou de 91. Mais en vérité, moi ce qui m'a marqué : ce sont les petits bouts de match, ce sont les actions. Ce sont les larmes de Titi Camara qui, contre Lens ou Metz, en 1999 marque à la dernière minute, juste avant d'être remplacé et en fait il avait, raté 4 ou 5 occasions.
"Critiquer, c'est aussi aimer quelque part, c'est lui dire à quel point il nous a blessé et c'est lui rappeler notre amour. "
- J. F.
Moi ce qui me marque au-delà des résultats, au-delà des joueurs, ce sont les supporters. Ce qui marque en fait dans l'histoire de l'OM en tout cas, c'est la ferveur, les chants des supporters.
Le chant des supporters ne s'est jamais interrompu. Il y a toujours eu des gens au stade pour siffler, pour huer l'adversaire ou nos joueurs, quand ils le méritaient. C'est un chant comme un autre. Parce que critiquer, c'est aussi aimer quelque part, c'est lui dire à quel point il nous a blessé et c'est lui rappeler notre amour.
Et même si toutes les voix s'éteignent un moment donné, il y'a toujours un supporter dans le stade qui chante la plupart du temps. C'est un fanatique du groupe de fanatiques, mais il y en a beaucoup d'autres et c'est ça qui est magnifique. Si demain je devais passer l'arme à gauche et mourir, c'est ça que j'aurais dans les oreilles, dans l'esprit.
"Papin est le précurseur de Messi et Ronaldo. "
- J.F.
JPP est donc le joueur qui t'a le plus marqué à l’OM ?
Évidemment, c'est Jean-Pierre Papin, le prodige absolu, l'attaquant le plus complet, le plus offensif, le plus instinctif, le plus virevoltant que j'ai pu connaître. Même aujourd'hui si on a des Benzema, on a des Griezmann, on a des Mbappé, on a des Ronaldo… mais pour moi, c'est le précurseur de Messi et Ronaldo.
Je n’ai pas peur de le dire, mais c'est le précurseur de cette époque-là, parce qu'il a un temps d'avance, il a un physique, il a une vitesse, il est une façon de voir le jeu qui font de lui, l'attaquant de pointe le plus redoutable de l'histoire de l'Olympique de Marseille. Au-delà de Gunnar Andersson, au-delà de Josip Skoblar au-delà de tous ces gens-là, pour moi, vraiment, le summum de l'attaque marseillaise, c'était lui.
L’entraîneur ?
Pour moi l'entraîneur emblématique de l'OM, c'était également son capitaine emblématique, c'est Didier Deschamps. C’est l'intelligence humaine, c'est un répertoire tactique, des palettes de combinaison, mais avant tout, c'est un homme intelligent.
Je le suspecte d'être un homme qui aime les gens et qui du coup, a une connaissance, une intelligence de l'humanité. À Monaco, à la Juventus, à Marseille et partout où il est passé jusqu'en Équipe de France, il a toujours composé des groupes, non pas avec les plus grands cadors de l'histoire, non pas avec des mecs qui valent 220 millions d’euros, parce qu’on voit aujourd'hui que l’argent ne suffit pas pour gagner la Ligue des champions, mais c'est un homme qui sait manœuvrer ses joueurs et les motiver.
Le président ?
Au-delà de toutes les polémiques, au-delà de tout ce qu'on peut dire de lui, c'est Bernard Tapie. Parce qu'il est arrivé de rien, il arrive du monde de l'industrie.
C'est un capitaine d'industrie avec un avenir politique radieux et il est arrivé à l’Olympique de Marseille, non pas pour se mettre au-dessus de l'Olympique, mais pour se mettre à sa portée, c'est à dire qu'il a lui, contrairement à Jacques-Henri Eyraud, réellement étudier le terrain. Il a rencontré les gens, il a respecté les supporters, il a construit quelque chose avec eux.
Et l’essor véritable des supporters de Marseille, ça s'est fait notamment grâce à Bernard Tapie, grâce à sa politique à l'époque et on lui doit beaucoup. Et puis, au-delà de ça, moi je veux lui rendre hommage aujourd'hui pour la dignité dont il fait preuve dans son combat. C'est une inspiration pour tous les gens qui souffrent, pour tous les gens malades, et ça c'est quelque chose de fort.
Si tu pouvais nous faire un XI de légende avec des joueurs de l’OM ?
- 4-4-2 : Barthez - Amoros, Mozer, Bosquier, Di Meco - Waddle, Deschamps, Sauzée, Magnusson - Skoblar, Papin.
Alors pour le XI, je mettrais Barthez dans les cages. Pour moi, il est incontournable dans l'histoire de l'Olympique de Marseille. On va partir sur un petit 4-4-2 à plat, je mets Manuel Amoros à droite. Grand percuteur, grand tacticien, grand technicien, capable d'avaler les kilomètres mais sans même les voir passer.
En défense centrale je mets évidemment Carlos Mozer, le "décapiteur", le « tueur à gages » du Brésil, la tour de contrôle… c'est un grand bonhomme. À ses côtés, je mets Bernard Bosquier. Un joueur que les petits jeunes ne connaissent pas mais qui était un formidable capitaine, un aboyeur. Un mec extraordinaire, vraiment. Bernard Bosquier, c'est l'élément qui peut manquer à un collectif comme l’Olympique de Marseille parce qu'il a le don de galvaniser les troupes et les empêcher de s'endormir.
En clair, si t'as besoin de prendre un coup de pied au *** tonton Bernard est là pour ça. À gauche évidemment Eric Di Meco, qui est un joueur formidable, un bon technicien, capable de très jolis coups francs et qui percute sur son côté, qui envoie des ballons et qui n'hésite pas à défendre et parfois de manière un petit peu virile.
Pour milieu de terrain, je vais mettre un binôme pour la récupération. Je vais faire un binôme Deschamps - Sauzée parce que ces deux mecs-là ont joué ensemble et je sais ce qu'ils valent ensemble. En clair, ce qu'ils valent, c'est une Ligue des champions. En 1993, on a Deschamps, le tacticien, le mec qui voit tout, le capitaine d'équipe. Celui qui rassemble les joueurs, qui les motivent, qui leur secoue le c** quand ça ne va pas et quand il mérite de l'être, c'est l'intelligence humaine. Je le disais dans la réponse, pour le meilleur coach, on est vraiment là-dessus.
Donc pour moi, Deschamps en récupérateur et en sentinelle devant la défense. Franck Sauzée en relayeur. Parce que passe longue parce que technique, parce que vista, parce que débordement également et capacité de marquer des buts absolument incroyables. Des patates parfois de 35 mètres. Il savait créer le danger dans la ligne adverse. Franck Sauzée, c'est une valeur sûre.
Sur la droite, l’indispensable, l’indescriptible, l’inévitable, l’irremplaçable Chris Magic Waddle. Il a fait partie des premiers mecs qui m'ont foutu les poils sur les bras. À l’Olympique de Marseille, il était fou, je ne sais pas d'où venait cette folie mais il avait la capacité d’oser les trucs ; on l'a vu sur ce fameux but qu'il a marqué contre le Milan AC en en 1991 il me semble. Cette espèce de but du bout du monde totalement décroisée qui vient récupérer le petit filet adverse. C’est un mec absolument incroyable.
De l'autre côté, je mets le grand Roger Magnusson. Oui, il est droitier, oui, il joue à droite, mais moi, j'ai envie de le faire jouer sur le côté gauche pour justement avoir un faux gaucher et pouvoir lui permettre de rentrer dans l'axe et rentrer pour percuter dans la surface, en sachant que ce mec est capable de marquer d'un peu n'importe où et donc créer le danger.
Pour le binôme d'attaquant en pointe, évidemment, il y a Papin. En pointe et à ses côtés, un grand Monsieur : Josip Skoblar. Un petit peu comme Bosquier et Magnusson d'ailleurs, des gens qu'on connaît assez peu aujourd'hui. Les jeunes supporters ont moins tendance à se cultiver, ce qui est dommage en vérité. Ce sont des gens qui aujourd'hui auraient le Ballon d'Or et taperaient dans la main de de Zlatan Ibrahimovic et de Cristiano Ronaldo, sans aucun problème.
À eux deux, c'est 35 buts de chacun par saison minimum. Je dis ça parce que Skoblar a, encore aujourd'hui, le record du nombre de buts inscrits en championnat, sur une saison (44 buts). Et ce n’est pas le petit Mbappé qui va le rattraper.
Si vous souhaitez lire les différents témoignages des supporters de l'Olympique de Marseille, voici le lien pour commander le recueil.