Interview - Steven Lennon, l'étoile filante des Rangers devenue une star en Islande
Par Kristen Collie
Considéré comme un des joueurs les plus prometteurs des Glasgow Rangers à ses débuts, Steven Lennon a progressivement vogué vers le Nord pour finalement s'épanouir en Islande. En exclusivité pour 90min, le récent meilleur buteur de Pepsideild nous a retracé sa singulière odyssée, digne des légendaires sagas vikings.
De la prestigieuse formation des Rangers à la Pepsideild, l'élite du football islandais. À première vue, la trajectoire semble décadente pour Steven Lennon. Or, comme souvent dans le football, tout est une question de perspective.
Du relatif anonymat en Écosse, le natif d'Irvine est aujourd'hui une des stars d'un championnat moins médiatisé, mais dont la qualité ne cesse de croître depuis les exploits retentissants de sa sélection nationale.
"En Islande on promeut le beau jeu, toujours tourné vers l’avant, souligne l'attaquant du Fimleikafélag Hafnarfjarðar (prononcez FH), auteur de 17 buts en 18 matchs de championnat la saison dernière. C’est très différent de ce que j’avais été habitué en Écosse, où c’est un football plus direct et avec plus de duels. Je suis un petit gabarit (1 ,70m), donc ça me convient mieux". La preuve en image :
Le jeune prodige des Rangers
L'histoire aurait cependant pu être diamétralement différente pour l'offensif de poche, prédestiné à tutoyer les sommets :
"Lorsque j’étais jeune, j’étais perçu comme l’un des joueurs les plus prometteurs d'Écosse. "
- Steven Lennon
Naturellement convoité, le droitier a fait le choix de la raison et du cœur en signant son premier contrat pro avec la mythique écurie écossaise des Rangers : "Au moment de passer pro, j’ai eu le choix entre le Celtic, les Rangers et des clubs anglais, mais j’ai privilégié les Rangers, car j’y étais depuis mes 15-16 ans", précise-t-il.
Au sein des catégories jeunes, Lennon se forge une réputation de phénomène, parfaitement illustrée par ce triplé face à l'éternel rival du Celtic, lors d'une retentissante victoire 5-0 en finale de Coupe d'Ecosse U19.
Petit gabarit (1,70m), véloce, à l'aise des deux pieds et technique, c'est surtout sa polyvalence qui le distingue des joueurs de son âge :
"Jusqu’à mes 17 ans, j’étais milieu central, mais après j’ai été repositionné avant-centre, numéro 10 ou ailier. Je suis à l’aise dans ces trois positions, même si je préfère être en 9 et prendre la profondeur. Un peu dans le style de Jamie Vardy", détaille l'Écossais.
L'impasse écossaise
Ses performances dans les catégories jeunes lui ouvrent alors les portes du groupe pro. Le 27 décembre 2006, à seulement 18 ans, Paul Le Guen, entraîneur des Rangers cette saison-là, le lance dans le grand bain face à Inverness (défaite 2-1).
"J’ai fait mes débuts sous Paul Le Guen et il me convoquait tout le temps pour m'entraîner avec les pros. Je pense que s’il était resté au club (remplacé par Walter Smith en 2007, NDLR), j’aurais eu plus amplement ma chance."
- S.L.
Des débuts idylliques, qui lui permettent en parallèle d'intégrer la sélection Espoirs. "Avec les U21 écossais, j’ai notamment joué contre Mesut Ozil à l’époque".
Malheureusement, le limogeage de Paul Le Guen en milieu de saison sonnera le glas de son aventure aux Rangers.
"Il y a un énorme palier entre être l’un des meilleurs de sa génération et s’imposer en pro dans un club comme les Rangers. Lorsque Walter Smith est arrivé, il s’est appuyé sur des joueurs plus expérimentés, et j’ai dû partir à la recherche de nouvelles opportunités", se remémore-t-il avec une pointe d'amertume, avant de remettre cette formidable expérience en perspective :
"C’est un club énorme, l’un des plus prestigieux d’Europe. Je me rappelle m’entraîner avec des joueurs de très haut niveau : Barry Ferguson notamment, qui était vraiment au-dessus du lot, Mikel Arteta aussi. J’en garde un super souvenir".
L'exil comme seule issue
Pour percer dans cette sphère élitiste, il faut impérativement jouer afin de prouver ses qualités. En quête de visibilité pour enfin lancer sa carrière, l'ancien prodige des Rangers enchaîne les clubs :
"Je suis d’abord parti à Partick Thistle. Je voulais absolument jouer pour revenir m’imposer aux Rangers, mais ça ne s’est pas très bien passé (8 matchs, 0 but, NDLR), admet-il.
Après j’ai tenté ma chance à Lincoln City. J’étais désespéré de gagner du temps de jeu et de l’expérience. Mais, la League Two ne correspondait pas du tout à mon jeu. Je suis un joueur technique qui aime avoir la balle. Là c’était surtout du kick and rush avec beaucoup de longs ballons."
Son périple britannique le mène finalement chez le voisin irlandais, à Dundalk, où le constat sera sensiblement le même...
"Je suis parti en Irlande pour donner un second souffle à mon début de carrière. Malheureusement je me suis blessé. J’étais un jeune joueur très talentueux mais parfois, il faut aussi beaucoup de chance pour percer", résume l'Écossais avec pragmatisme.
Arrive alors le point de saturation :
"J’avais besoin de partir du Royaume-Uni pour un championnat étranger plus compatible à mon style de jeu. J’en avais marre de jouer dans les divisions inférieures."
- S. L.
L'Islande, terre d'asile
Direction le Grand Nord avec une première escale au pays de Zlatan : "Je suis parti dans un premier temps en Suède faire des essais, mais les contrats proposés n’offraient pas de stabilité. À l’aéroport de Stockholm, j’ai eu un appel de mon agent qui m’a proposé un club en Islande. "
Se définissant naturellement ouvert d'esprit et en constante quête de nouvelles expériences, l'Écossais s'envole pour ce qui deviendra son pays d'adoption. En 2011, le jeune Britannique paraphe un contrat au Fram Reykjavik.
"Par chance je suis arrivé en été. Je pense que si j’étais venu en janvier, j’aurais sûrement demandé à mon avion de faire demi-tour. Lorsque j’ai atterri, j’ai halluciné à la vue de ces paysages volcaniques. J’ai eu l’impression d’atterrir sur la lune."
"Vivre et jouer ici est une expérience unique. C’est un pays éblouissant au paysage sans pareil. "
- S. L.
Footballistiquement parlant, Steven Lennon exploite enfin ses qualités. Auteur de 15 buts en deux saisons avec sa nouvelle écurie islandaise, il retrouve "le plaisir de jouer et de marquer".
"Le but au début était de relancer ma carrière, enchaîner les performances et attirer l’œil de clubs scandinaves plus huppés."
Bingo, en 2013, il signe à Sandnes Ulf en Tippeligaen, l'élite du football norvégien. Une parenthèse enrichissante, mais où il peine à s'épanouir (29 matchs, 3 buts) :
"Ça s’est plutôt bien passé. J’étais titulaire mais on était une petite équipe de première division ce qui m’a poussé à avoir un rôle plus défensif. On a réussi à se maintenir la première saison mais en 2014, on allait droit vers la descente et j’ai demandé à partir."
L'éloge au football islandais
Un retour à son coup de cœur islandais s'impose. Depuis 2014, l'attaquant évolue au Fimleikafélag Hafnarfjarðar. Prophète en son "pays d'accueil", Lennon est la star d'un championnat en pleine émergence.
"Le niveau ne cesse de progresser avec des jeunes toujours plus talentueux. On le voit, de nombreux joueurs du pays partent pour les plus grands championnats."
- S.L.
"Les infrastructures d’entraînement sont de top niveau avec beaucoup de terrains indoor pour jouer toute l’année. Et désormais la majorité des coachs ont des diplômes UEFA, détaille le plus Islandais des Écossais.
Le championnat est plus faible que certaines ligues européennes, mais les 2-3 meilleurs clubs islandais se situent au niveau des meilleures équipes scandinaves et pourraient jouer en première division écossaise, assure-t-il. Lorsqu’on joue contre des équipes norvégiennes ou suédoises en pré-saison, on est très proche d’eux. On a battu Molde il y a quelques années par exemple."
Principale bénéficiaire de ce développement, la sélection nationale, quart de finaliste du dernier Euro :
"Cet Euro a inspiré toute l’île. Maintenant, tous les jeunes veulent jouer au football. "
- S. L.
"Je suis Écossais donc j’étais content de voir l’Islande battre l’Angleterre (2-1, huitièmes de finale Euro 2016, NDLR), ironise l'ancien international Espoirs. C’était la folie, personne ne s’y attendait. Mais les Islandais ont cette mentalité : ils pensent pouvoir battre n’importe qui."
Boucler la boucle
Auteur de 96 buts et 22 passes décisives depuis son retour sur la "terre de glace", le joueur de 33 ans peut contempler sa carrière avec fierté et des souvenirs plein la tête :
"Les titres en 2015 et 2016 sont évidemment de super souvenirs, mais ce qui m’a le plus marqué sont les matchs européens. En Islande, c’est toujours un évènement de jouer ces matchs de qualif' pour l’Europa League ou la Ligue des Champions. Je pense notamment en 2017 où on a joué contre Braga (1-2, 2-3 en août 2017, NDLR), et Maribor (0-1, 0-1). Faire de belles performances contre des équipes de ce calibre c’est la plus grande fierté."
Le Britannique envisage aujourd'hui de conclure sa carrière de footballeur en Islande, avec un dernier rêve à assouvir :
"KR (club de Reykjavik, la capitale) a joué deux fois le Celtic en 2014 et l’année dernière. J’espère qu’avec FH on aura également l’occasion d'affronter un club écossais, histoire de revenir et jouer devant toute la famille."
Nul doute qu'un but à Ibrox Park, devant un Steven Gerrard admiratif, ponctuerait parfaitement son enrichissant parcours.