L'odyssée de Grégoire Akcelrod, la plus incroyable arnaque du football
Par Kristen Collie
L'histoire du dénommé Grégoire Akcelrod est digne d'un roman. Passionné de foot aux pieds carrés, le Français a fait preuve d'une résilience rare et d'une imagination débordante pour assouvir son rêve de devenir footballeur professionnel. Rencontre avec le plus grand escroc du football français.
"Pro à tout prix". Sorti aux éditions de l'Archipel, ce titre de l'autobiographie de Grégoire Akcelrod résume parfaitement le parcours de forceur du Français, aujourd'hui âgé de 38 ans.
Un parcours unique à l'échelle du ballon rond, où un joueur sans aucun talent a usé de tous les stratagèmes possibles pour réaliser "son rêve de gosse", et arpenter les contrées les plus lointaines de la planète football :
"Certains joueurs jouent pour gagner des millions. Moi c’était pour l’aventure, philosophe celui qui peut se targuer d'avoir un profil Transfermarkt. J’ai voyagé dans 19 pays sur 5 continents. Sydney FC, New York Red Bull, Norwich City, CSKA Sofia, la Chine… j’ai rencontré de super personnes et de nouvelles cultures… ça vaut tout l’or du monde."
Une première fin de "carrière" à... 11 ans
"J’ai toujours adoré jouer au foot, nous confie Akcelrod, tranquillement installé sur sa terrasse. J’ai commencé à 5 ans. J’ai eu la chance de grandir dans un milieu aisé car ma grand-mère a partagé sa vie avec l’acteur Maurice Chevalier (star d'Hollywood oscarisée du début du XXème siècle, NDLR). Tout le monde parlait business, fortune… c’était chiant. Moi ce qui m’animait c’est aller dehors avec mon ballon et jouer dans mon jardin."
Rien ne prédestinait donc le natif de Saint-Germain-en-Laye a une carrière de footballeur, encore moins son talent balle au pied. Contre vents et marées, il rejoint pourtant un club dès son plus jeune âge :
"J’ai commencé dans le club de Sens quand j’avais 5 ans. À 10 ans, ma mère a obligé mon père à venir me voir jouer un week-end. À l’époque je jouais avec l’équipe B des benjamins, se souvient-il, sourire en coin. J’étais trop content de jouer devant mon père, c’était comme une finale de coupe du monde."
"On perd 4-0 j’étais devant, j’ai pas existé. Et derrière mon père m’incendie : ‘T’es trop nul, t’es un gros fainéant, tu ne cours pas, je n’ai jamais vu ça. Je ne veux plus te voir sur un terrain de foot', se remémore-t-il en rigolant. Quand t’es jeune c’est un peu traumatisant car t’as pas du tout cet esprit de compétition."
"De base j’ai un pied carré et en plus on m’interdit de jouer au foot. Là, le rêve de devenir footballeur professionnel devient vraiment compliqué. "
- Grégoire Akcelrod
Un site inspiré de Ronaldo
À 11 ans, son rêve semble donc s'envoler prématurément. C'était sans compter sur l'ingéniosité du jeune Akcelrod.
"Pendant cette période, je jouais en me cachant dans mon jardin puis je me suis amusé à créer un faux site internet en m’inspirant de celui de Ronaldo (le Brésilien, NDLR). Ça faisait vraiment pro, assure-t-il. Je ne jouais même pas en club c’était juste pour rigoler. Et deux ans après je me suis amusé à envoyer des CV à des clubs anglais. Pour montrer ma folie j’envoyais même des candidatures à Chelsea, Arsenal…"
La définition même de l'audace : "Ma chance à l’époque c’est que c’était le tout début d’internet et je me démarquais avec mon site de star mondiale. J'avais changé une Une de l'Équipe qui titrait 'Anelka à Arsenal' par 'Akcelrod à Arsenal'".
Et le pire dans tout ça ? C'est que ça marche. "Finalement, j’ai eu un essai avec Swindon Town (Angleterre, NDLR) pendant deux jours, alors que je n’avais jamais joué sur grand terrain. Bon ça s’est mal passé parce que j’étais nul."
"Premier match je joue 15 minutes, je prends un ballon du gardien dans l’oreille tout le monde rigole dans le stade…"
- Grégoire Akcelrod
Peu importe, c'est une première victoire et la preuve qu'en faisant n'importe quoi, on peut devenir n'importe qui, comme le dit si bien Rémi Gaillard.
Le PSG comme rampe de lancement
Après des interludes en Belgique à l'US Givry et en première division galloise, Akcelrod a une illumination en allumant son téléviseur :
"De retour du pays de Galles, je regarde France 3 région avec ma grand-mère et là je tombe sur un reportage qui informe que le PSG cherche des joueurs en amateur."
- G. A.
Une aubaine pour le plus impertinent des joueurs français :
"Lors du premier essai avec l’équipe 3 je me blesse à la cheville. Je reviens fin août mais on me recale direct. On dit le football pro, mais le football amateur est dur aussi. Au final l’entraîneur de l’équipe 3 demande à celui de l’équipe 5 s’il a besoin d’un joueur. Et finalement il me signe."
"Bon, l’équipe 5 du PSG, c’était le pire niveau en France, tout le monde s’en fout mais ça m’a permis d’alimenter mon site avec des photos et en parallèle j’enchaînais quand même les essais, nous précise-t-il avant d'évoquer son idée de génie :
J’avais une copine qui bossait à la boutique du club et qui avait un pass pour faire une visite du Parc. Donc j’ai acheté un maillot du foot du PSG, celui des pros évidemment. Je l’ai floqué à mon nom et j’ai pris une photo."
"Après je l’ai envoyé à mon frère et j’en ai profité pour l’envoyer à tous les agents et à tous les clubs". L'histoire est en marche.
L'apogée au CSKA Sofia
Grégoire Akcelrod n'est désormais plus un inconnu, et enchaîne les essais à travers le monde.
"Après cet épisode PSG, je fais une escale en Argentine à Tigre où on ne me signe pas. Mais à la fin de l’essai un agent vient nous voir avec trois autres joueurs argentins et nous propose de jouer en Europe. Au début je ne suis pas chaud. Il nous dit la Bulgarie. Là je dis trop la galère. Et là il insiste en parlant de Ligue des Champions. Bingo je pars !"
Direction l'Autriche, pour rejoindre les joueurs du CSKA Sofia en pleine prépa physique :
"Je rejoins les joueurs en pré-saison à Vienne, je vois des supporters déjà prêts à m’accueillir. Je me dis c’est quoi ce délire moi qui voulais quelque chose de confidentiel pour pas me faire griller, raconte-t-il. Je fais 3-4 jours d’essai, ça se passe bien, on me propose même un contrat de 3 ans à environ 15.000€/mois".
Malheureusement, la fraude fait rapidement surface :
"Ils annoncent ma signature officielle sur le site du CSKA et le lendemain je devais signer mon contrat. Donc c’était fait ! Problème, un supporter s’est renseigné sur moi en allant sur les forums du PSG et m’a grillé. Le lendemain matin je vois ma photo en Une de tous les journaux bulgares…"
La parenthèse enchantée prend donc fin prématurément, alors que le Français touchait enfin du doigt son rêve.
"Un chien a brisé ma carrière en Chine"
Ce court chapitre bulgare n'est pourtant pas l'expérience la plus rocambolesque vécue par Grégoire Akcelrod :
"Mon plus grand regret c’était en Chine. J’allais signer pour un club en D2 et là mon agent me propose une opportunité avec un club de D1, au Henan Songshan Longmen, et donc l’occasion d’affronter les Drogba, Anelka...", retrace le globe-trotter.
"Donc je prends l’avion, je rencontre l’entraîneur, ça se passe bien. Là je mange à la cantine du club. Je commence à manger la viande et je la trouve très moelleuse. Je demande c’est quoi comme viande. On me répond waf waf en rigolant… J’ai mangé du chien et ça m’a ruiné l’estomac pendant une semaine. C’est un chien qui a brisé ma carrière chinoise."
Mais comment un joueur qui a basé sa carrière sur du fake, peut avoir de telles opportunités ?
"Au départ j’étais vraiment nul, mais après je me suis amélioré, je me suis entraîné à fond, au moins deux fois par jours. Je devenais un bon joueur. Faut savoir dans le foot qu'il y a 80% de joueurs moyens. Moi je voulais juste ne pas être un footballeur moyen comme les autres, se justifie-t-il.
"Oui j’ai menti sur mon CV à la base, mais je n’ai jamais fait ça pour l’argent. Je voulais juste qu’on me laisse ma chance de prouver mes qualités dans un cercle aussi fermé. "
- G. A.
Pour le CSKA j’étais un joueur de complément. J’ai eu de supers entraîneurs, à Swindon Town je me rappelle j’avais marqué un super but en lob. Fallait le mettre."
D'où l'intérêt de rédiger cette autobiographie "Pro à tout prix" :
"Certains médias m’ont présenté comme un imposteur et ont sali mon nom. J’ai quand même signé pro et joué au niveau professionnel au Canada. Ce livre est là pour rétablir la vérité et démontrer que ce n’est pas le CV le plus important, mais les qualités intrinsèques du joueur. C’est également ma philosophie en tant qu’agent."
Reconverti en agent
Fort de son incroyable expérience, Grégoire Akcelord s'est naturellement reconverti agent de footballeur :
"Je suis actuellement l’agent de Bakary Koné qui a joué à l'OL et Malaga, d’Éric Bauthéac, j’ai été quatre ans l’agent d’Aurélien Tchouaméni… J’ai la chance d’avoir un réseau de gens compétents et je connais le marché du football", informe-t-il.
Son parcours singulier est devenu une force, qu'il transmet parfaitement à des joueurs issus du football amateur :
"J’ai réussi à amener des mecs de cité, pour certains des dealers, à faire des essais dans les plus grands clubs du monde. J’ai notamment envoyé un jeune de Compiègne qui jouait en DSR à Liverpool. "
- G. A.
"Le problème c’est que dans ce système, on privilégiera toujours le mec qui sort d’un centre de formation même s'il sort en boîte tous les soirs, plutôt qu’un jeune sérieux et talentueux du football amateur", regrette-il.
Une réflexion pragmatique, démontrant à quel point Grégoire Akcelrod est un OVNI et sûrement la dernière anomalie de ce système incroyablement élitiste.