Jorge "Magico" Gonzalez : Le joueur que Maradona décrivait comme le meilleur du monde
Par Morgan Piot
Plus connu sous le nom de "Magico" Gonzalez, cet ancien milieu de terrain offensif, reconnaissable à sa longue chevelure, a marqué de son empreinte la Coupe du monde 1982 pour une raison bien particulière. Retour sur l'une des histoires les plus fascinantes du football salvadorien.
Si vous vous demandez comment on peut finir dans l'équipe-type de la Coupe du monde lorsqu'on défend les couleurs d'une formation salvadorienne éliminée au premier tour après trois défaites et treize buts encaissés au cours de la compétition, il suffit de se renseigner sur un certain "Magico", une légende au pays.
Une fessée mémorable et un titre de meilleur joueur
Un fait d'armes qui restera à jamais gravé dans les annales du football et un homme qui a fait étalage de tout son talent au cours d'une déculottée mémorable un certain 15 juin 1982.
Ce soir-là, la modeste sélection du Salvador fait son entrée dans le Mondial espagnol en défiant la Hongrie, impitoyable tortionnaire face aux coéquipiers de Jorge Gonzalez. En marge d'une soirée étouffante à tous les niveaux, les Magyars infligent une correctionnelle aux Cuscatlecos en passant pas moins de dix buts (10-1), réalisant un nouveau record en la matière dans cette compétition. Un match qui fait date pour une autre anecdote plus ou moins surprenante : un joueur salvadorien est élu homme du match.
Si l'incompréhension générale règne dans un premier temps, c'est bien "Magico" qui est désigné : un joueur atypique qui à la fois dérange, intrigue et fascine par sa capacité à slalomer à travers les défenses. C'est d'ailleurs dans ce registre que le natif de San Salvador s'était fait remarquer, six mois plus tôt, en humiliant la défense des aztèques (Mexique) synonyme d'une deuxième qualification historique pour cette petite nation d'Amérique centrale.
Réputé pour sa vivacité, et sa capacité de dribbler, l'ancien joueur du Real Valladolid est élu dans l'équipe-type du Mondial en compagnie de Paolo Rossi, le futur Ballon d'Or. N'en déplaise à certains, celui qui était reconnaissable à ses chaussettes toujours plus abaissées au niveau des chevilles et sa nase démesurée, réalise une performance sans équivoque en terminant le Mundial avec zéro but dans les basques. Peu importe, les Colchoneros veulent en faire une tête de gondole en arrachant sa signature à l'été 82. Une certaine manière de provoquer le FC Barcelone qui vient de s'offrir un jeune argentin répondant au nom de Diego Armando Maradona.
Décontracté en toutes circonstances
Comme une évidence, le Salvadorien renonce à la lumière et s'engage en faveur de Cadix contre un chèque de 130.000 euros, un club post-franquiste tout fraîchement relégué en deuxième division.
Placé rapidement sous le feu des projecteurs, la sensation salvadorienne suscite la curiosité de la foule andalousienne qui se masse au stade Ramon de Carranza pour le voir accomplir la fameuse "culebra machetiada", une sorte de passement de jambes réalisé avec un mouvement de rein. Un geste technique qui cabale les footballeurs à cette période, tous plus déterminés à imiter la grinta du prodigieux :
""Quand on voyait les crochets qu'il mettait aux Espagnols, on se disait vraiment qu'il était unique. (...) On voulait l'imiter, on essayait, on se disait : 'putain t'as vu le but de Magico ?' Alors on tentait les mêmes dribbles et on se cassait tous la gueule... Un seul homme peut faire de la magie avec ses pieds, son nom est Magico Gonzalez.""
- Diego Maradona
Un personnage unique qui est déjà à l'avant-garde d'une révolution dans le monde du football. Décrit comme un phénomène de foire, Pepe Mejias, son ancien coéquipier, se rappelle de ses gesticulations fantasques.
""Je n'avais jamais vu un joueur aussi fort des deux pieds. Je veux bien qu'on parle de Ronaldinho, de Ronaldo, mais le 'Magicien' faisait les mêmes choses 30 ans avant.""
- Pepe Mejias pour So Foot
Précurseur de génie, le milieu de terrain offensif innove, se perfectionne et régale dans un autre domaine : les coups de pieds arrêtés.
Calibré pour envoyer des pétards à 30 mètres, "Magico" impressionne pendant les entraînements en s'amusant à toucher, à la demande, la barre transversale. Son entraîneur à cette période, Victor Esperrago, se montre élogieux, le comparant à Pelé, Charlton, Beckenbauer ou encore Diego Maradona. Un piédestal dont le footeux ne prête pas attention. Son leitmotiv est ailleurs.
L'alcool, les soirées, et une bonne sieste
Prédestiné à devenir l'une des plus grandes légendes du football, "Magico" ne se soucie guère de cette ambition. Bien au contraire, l'heure est à la fête.
Entre les soirées tardives, son penchant prononcé pour les boissons alcoolisées et sa faculté à faire vaciller les draps quand le soleil arrive à son zénith, le Salvadorien manque près de la moitié des entraînements au cours de la saison.
Très peu concerné par l'environnement du football, "Magico" est un personnage à part, en marge de la société, capable à la fois de réaliser des coups d'éclat sur le pré et de se mettre une bonne cuite la veille d'un match. Un fait d'armes à son actif qui devient constant à l'image de ce match face à l'Atlético, où il arrive complètement beurré avant la rencontre, exigeant un massage pour effacer les lourdes courbatures qui ont rythmé une nuit enivrée.
Tellement coutumier du fait, le club andalous anticipe et mandate un représentant au sein de l'institution, qui sera en charge de le réveiller tous les matins. Inefficace, le Salvadorien se laisse bercer par les bras de Morphée un soir d'une confrontation contre le Barça. Complètement déboussolé, "Magico" daigne finalement à se lever. Le joueur arrive à la mi-temps alors que son équipe est menée 0-1. Sans préparation, il fait son apparition sur le terrain en seconde période, plante deux buts, et délivre deux passes décisives comme si de rien n'était. Une façon de justifier son travail sans en tirer aucune satisfaction.
L'envol retardé au Barça
Malgré son impertinence involontaire, Maradona plébiscite son arrivée au Barça en recommandant à Menotti de lui accorder un test.
Fan inconditionnel de l'homme et du joueur, l'international argentin est convaincu par l'étendue de son talent et attend patiemment qu'il fasse ses preuves en marge d'une tournée estivale aux Etats-Unis où il est convié. Prévu sur un vol le 25 mai 1984, "Magico" reste finalement fidèle à ses principes, comme le retranscrit parfaitement un journal de Cadiz ;
""L'attaquant salvadorien devait partir pour Barcelone dans l'après-midi. Gonzalez s'était d'abord rendu chez lui pour faire une sieste. Il s'est endormi si profondément qu'il a manqué l'avion.""
- Diario de Cadiz
Fraîchement débarqué au pays de tous les rêves, avec un peu de retard, l'ancien joueur de Cadix se lie d'amitié avec Diego Maradona qui insiste pour qu'il soit titulaire lors d'une rencontre amicale face à Fluminense. Ce soir-là, les deux hommes plantent trois buts, un pour El Pibe de Oro, deux pour Magico. De retour à l'hôtel où logent également les Brésiliens, les Cariocas sonnent la révolte en déclenchant l'alarme incendie. La délégation catalane est sur le pied de guerre. Un homme manque à l'appel. "Magico" est toujours dans un sommeil profond, enlacé par une prostitué. Il est renvoyé. Le moment de dire adieu à la chance de toute une vie.
Une vie de déboires
De retour au pays, l'idole d'Amérique centrale ne perd pas ses habitudes, sombre encore un peu plus dans l'alcool avant de déprimer. Éreintés, les dirigeants de Cadix lui somment de détaler. Direction Valladolid où il ne prend part qu'à neuf petits matchs. Suffisant pour que l'Andalousie s'agenouille en suppliant le retour de la légende. Cadix accepte à une condition : il sera payé au match joué (700 dollars).
Aussi efficace avec un ballon au pied que sa capacité à se volatiliser dans des boîtes de nuit, Gonzalez s'octroie une vingtaine de matchs par saison, choisissant le plus souvent les rencontres, celles qui sont les plus alléchantes. Barça, Real Madrid, Atlético, Magico se balade, brille, et illumine le Bernabeu qui n'a d'yeux que pour lui. En 1987, le PSG n'est pas insensible à ses prestations et veut le signer. Le rendez-vous est programmé pour finaliser le contrat. Le Salvadorien ne se pointera jamais.
Comme un symbole, "Magico" reste cet homme friand de la gente féminine, étiqueté comme un Don Juan, parfois décrié pour des supposés actes d'agression sexuelle et victime d'un talent certain qui n'attendait plus qu'à être bonifié. Un magicien incompris.