Les Bleus, l'Euro 2023, ses ambitions... Entretien avec Lionel Rouxel, sélectionneur de l'équipe de France U19

Lionel Rouxel est le sélectionneur de l'équipe de France U19
Lionel Rouxel est le sélectionneur de l'équipe de France U19 / Paolo Bruno/GettyImages
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Le sélectionneur de l'équipe de France U19 nous a accordé une interview exclusive. Dans celle-ci, il revient notamment sur l'échec de son équipe lors de l'Euro 2023, sur les différences entre un U19 et le monde professionnel, et sur ses ambitions personnelles notamment. Entretien.

Monsieur Rouxel, quel est votre rôle au sein de la Fédération Française de Football ?

Il y en a plusieurs. Le premier déjà, c'est celui de responsable de toutes les sélections nationales masculines de jeunes de U15 à U19, donc des générations de 2008 à 2003. Donc ça fait beaucoup de joueurs, presque 200 joueurs. On compte entre 35 et 40 joueurs par génération. Et ça, c'est mon premier rôle.

Mon second rôle, c’est d’être le sélectionneur de l’équipe de France U19. Donc je dois observer les joueurs, et les préparer aux compétitions de jeunes.

"Il y a deux mots qui reviennent en permanence chez nous en tant que sélectionneurs : former et performer."

Lionel Rouxel

Concernant votre mission principale en tant que sélectionneur. Vous considérez que c'est plutôt de gagner à court terme les matchs et les compétitions ou plutôt de former les jeunes pour qu'ils aillent potentiellement en A au cours de leur carrière ?

Je dirai les deux. Il y a deux mots qui reviennent en permanence chez nous en tant que sélectionneurs : former et performer. Former des joueurs pour le niveau international. Donc, au travers des matches qu'on leur propose, et des compétitions qui arrivent en U17, U19.

Mais il faut aussi performer parce que c'est en formant des bons joueurs et des bons footballeurs, qu'on performe. Chez les jeunes, il y a un apprentissage accéléré et cela fait travailler sur deux choses : les attitudes, et les habitudes.

Lionel Rouxel
Lionel Rouxel, sélectionneur de l'EdF U19 / Paolo Bruno/GettyImages

Quelles sont les différences entre un sélectionneur U19 et un sélectionneur d’une équipe A ?

Nous, on travaille plutôt sur le long terme, même s'il faut gagner tous les matchs. Mais on travaille plutôt sur le moyen et long terme. C'est à dire qu'on doit préparer le joueur au niveau international. Donc on est d'abord des formateurs-sélectionneurs.

Alors que pour l'entraîneur des A comme Didier Deschamps, lui, son objectif c'est de performer en permanence avec des joueurs de très haut niveau qui jouent dans les championnats européens, notamment en Ligue des champions. Le travail n'est donc pas tout à fait le même, mais l'objectif reste similaire puisqu'il faut performer, il faut toujours performer !

"L'état d'esprit, c'est très important."

Lionel Rouxel

Dans votre équipe U19, certains joueurs participent déjà à des rencontres de Ligue des champions, d’autres évoluent dans des écuries plus modestes. Comment gérez-vous cela ?

Pour moi, ça se passe bien. Avant de former une équipe, on forme un groupe. Le groupe est très important à constituer. Donc ça, c'est le rôle du sélectionneur. On prend un joueur par rapport à quatre critères. Un : son état d'esprit, c’est très important.

Après les trois autres critères qu'on regarde sont bien évidemment le physique, la technique et la tactique. On attache beaucoup d'importance à l'état d'esprit parce que l'état d'esprit est crucial. Pour chaque joueur : on doit avoir la bonne mentalité dans un groupe. Evidemment, le côté motivation du joueur est très important parce que tous les joueurs aiment la sélection. Mais encore faut-il être performants individuellement, pour le collectif.

Warren Zaire-Emery
Warren Zaire-Emery titulaire en Ligue des Champions / James Gill - Danehouse/GettyImages

Et vous, en tant que sélectionneur, à quoi ressemble votre quotidien professionnel ?

On fait beaucoup de détection. On commence déjà avec les U15. Notamment cette saison puisqu'on a créé un groupe de développement U15. On a sélectionné les meilleurs U15 sur le territoire. Ils s'entraînent quatre fois par semaine au centre technique de Clairefontaine. On fait de la détection et puis après on prépare les joueurs dans les différentes sélections.

Évidemment, on regarde les matchs. On va voir les matchs en direct, on se déplace. On regarde les matchs ici aussi parce qu'on a une plateforme qui nous permet de voir tous les matchs des U17 ou U19 et des réserves pros. Pour les meilleurs, qui sont déjà chez les pros, évidemment, on va les voir en direct ou on les observe à la télé.

Donc c'est tout un réseau qui est mis en place.

On est en communication constante avec les entraîneurs pros et des entraîneurs des centres de formation pour connaître le niveau du joueur, connaître l'état d'esprit et connaître l'état de forme du joueur à l'instant T. Donc, il y a beaucoup de contacts et d'échanges. Comme disait Arsène Wenger, l'important ce n'est pas d'avoir les onze meilleurs, mais le meilleur onze.

Lionel Rouxel
Lionel Rouxel et son staff / Paolo Bruno/GettyImages

Que pensez-vous de la formation en France ?

La qualité des joueurs, elle est là et elle est indéniable parce qu'il y a un potentiel à exploiter. Et je pense que ce potentiel est très bien exploité. Notamment par les pôles espoirs, parce qu'on a des pôles espoirs masculins de U13 à U15. On a des très bons centres de formation et puis on a une qualité aussi qui est importante et sur laquelle on a bien travaillé depuis dix ans : c'est la formation des entraîneurs.

A partir du moment où vous formez des bons entraîneurs et que vous avez des bons joueurs à préparer et à former, si vous réunissez les deux, vous arrivez à sortir des joueurs pour le niveau français ou pour le niveau international. A ce moment là, les meilleurs éléments sont sollicités pour partir à l'étranger. Et après, il y a un choix de carrière qui est fait par le joueur, son environnement. Les transferts sont de plus en plus importants. Il y a un côté financier qu'on ne peut pas négliger non plus. Donc les meilleurs éléments de 18 ou 19 ans jouent déjà aujourd'hui au niveau des pros.

"On apprend toujours dans la défaite."

Lionel Rouxel

Le 26 mars dernier, l'équipe de France U19 perd contre la Norvège (2-1). L’Equipe de France ne participera donc pas à l'Euro 2023. Comment expliquer cette élimination dès les qualifications ?

On apprend toujours dans la défaite. Donc ça, ça peut arriver. On avait certes des bons joueurs qui étaient plutôt intéressants au niveau des pros, mais une sélection, c'est différent. Il y a plusieurs facteurs qui sont pris en compte. Il y a des garçons qui sont arrivés sur le tard pour jouer le premier match parce qu'on avait des joueurs qui passaient le bac. On avait des joueurs qui étaient dans un état de forme disparate parce que certains n'ont pas joué assez entre janvier et février.

Mais on les a pris parce qu'eux ils faisaient des bouts de matchs en pro et on est tombés sur une équipe de la Norvège qui était bien huilée, avec souvent les mêmes joueurs. C'est une équipe vaillante. Et puis on s'est fait surprendre à dix minutes de la fin. Mais ça fait partie de la formation aussi. Il ne faut pas oublier que même s'ils sont chez les pros, ils ont leur âge, et leur âge c'est 18 ans, et à cet âge, on apprend encore. C'est dommage parce qu’on aurait voulu emmener ces garçons à un Euro, mais ils ont encore du temps.

Comment explique-t-on le fait que certains joueurs de 18/19 ans évoluent déjà avec les A ?

C'est le niveau du joueur, tout simplement. Tout part du niveau du joueur, s'il est bon ou très bon et qu’il joue en Ligue 1, voire en Ligue des champions à 19 ans, il peut aller en Espoirs ou en A. C'est ce qui est arrivé avec Kylian Mbappé quand il est passé directement des U19 aux A sans passer par les Espoirs. Donc ça peut arriver.

Il y a des joueurs d'exception qui sont performants à tous les niveaux et qui sont capables de supporter une certaine pression à la fois sur le terrain et dans leur environnement. Mais ce sont des joueurs qui sont hors normes. C'est rare, mais ça arrive. Il y en a un tous les dix ans. On a eu du Platini, on a eu du Zidane et maintenant on a du Mbappé. Désormais, il faut trouver le prochain.

Kylian Mbappe
Kylian Mbappé en équipe de France U19 / Srdjan Stevanovic/GettyImages

En général, est-ce que les meilleurs talents que vous observez chez les jeunes, deviennent les meilleurs dans les catégories professionnelles ?

Pas forcément non. Le critère important aussi que l'on a souligné, c'est l’environnement du joueur. Il faut qu'il soit équilibré et qu’il soit favorable à l'épanouissement du joueur.

Parce que vous pouvez faire les meilleurs entraînements du monde sur un terrain avec un bon formateur, si l'environnement autour n'est pas favorable à son épanouissement et accomplissement, il y aura des problèmes et ça peut aller très vite.

Y a-t-il un ou des joueurs qui vous ont justement surpris par la suite de leur carrière ?

Il y a un joueur qui a toujours fait les sélections de jeunes qui est aujourd'hui en A, c'est Aurélien Tchouaméni. Il a franchi les étapes, les paliers les uns après les autres. Il a fait toutes les sélections de jeunes, de U16 à U20. Aujourd'hui, on sait où il est (Real Madrid). Il a beaucoup travaillé. Il a mis tous les atouts de son côté et il avait deux qualités fortes.

Grand 1 il était à l'écoute et grand 2, il était ambitieux. Donc aujourd'hui, il est arrivé au très haut niveau et il faut qu'il reste au très haut niveau avec les A, avec le Real Madrid. C'est un garçon qui avait surtout la tête sur les épaules et les pieds au sol, bien encrés. Il avait surtout une volonté terrible d'avancer. Donc ça, c'est un exemple pour nos joueurs qui arrivent derrière.

Vous avez dit qu'il était "à l'écoute et très ambitieux". Est-ce que pour vous, ce sont les deux qualités principales qu'un jeune joueur doit avoir pour se hisser vers le plus haut niveau à cet âge là ?

Oui, il faut être à l'écoute et avoir les bonnes attitudes parce qu'il y en a qui écoutent mais qui n'ont pas toujours la bonne attitude. Tchouaméni l'avait. Il y avait une chose qui m'avait marqué lors d'un entretien U17 il m'avait dit deux choses.

La première : "je veux jouer en équipe de France A", et deux : "je veux gagner la Ligue des champions". Il avait seize ans. Donc quand vous annoncez ça, ça annonce la couleur. Je lui souhaite de gagner la LDC et j'espère avec le Real, bien sûr.

Aurélien Tchouaméni
Aurélien Tchouaméni durant la Coupe du Monde 2022 / ATPImages/GettyImages

Warren Zaire Emery, Mathys Tel et Désiré Doué. Pour chacun des joueurs : pourriez-vous nous donner sa qualité principale ainsi que son point de progression...

L'intelligence de jeu est le gros point fort de Warren Zaire-Emery. Par contre, s'il devait travailler un secteur de jeu, ce serait son jeu de tête selon moi.

Mathys Tel : qualité forte la vitesse, et point à améliorer : la finition. Il lui faut encore plus de justesse, plus de justesse.

Désiré, sa qualité forte c'est la percussion, la projection avec le ballon. Et le point à améliorer : la discipline tactique dans le collectif.

Eliesse Ben Seghir, Wilson Odobert et Ayman Kari. Si vous aviez un conseil à donner à chacun de ces joueurs, quel serait-il ?

Eliesse et Ayman doivent travailler sur la régularité lors d'un même match. Etre plus constant lors d'une rencontre.

Wilson Odobert, lui, doit progresser dans le domaine de la finition.

"Je serai peut-être amené à prendre un club."

Lionel Rouxel

A titre personnel, est ce que vous pourriez envisager de prendre un jour les commandes d'un club ou une sélection en A ?

Oui, je serai peut-être amené à prendre un club. J'espère un club pro avec des seniors. Ça fait 20 ans que j'accumule de l’expérience avec les jeunes et je connais tous les jeunes, toutes les catégories et toutes les sélections.

C'est peut-être un projet à venir dans les deux ans : prendre un club avec un beau projet. Évidemment j'ai tous les diplômes de formateurs et puis de professionnels. Donc voilà, pourquoi pas tenter une aventure dans un club. Mais ça peut être aussi être une sélection à l'étranger, éventuellement.

Lionel Rouxel
Lionel Rouxel, bientôt vers un nouveau défi ? / Giuseppe Bellini/GettyImages

Quel(s) entraîneur(s) en club, en sélection passée ou encore d'actualité vous inspire(nt) aujourd'hui ?

Un entraîneur qui m'a marqué quand j'étais joueur, c'est Francis Smerecki, qui malheureusement est décédé. Je l'ai eu pendant six ans à Guingamp en tant que joueur.

Le sélectionneur dont on peut s'inspirer, et qui m'inspire, c'est Didier Deschamps dans le management. En club, j'apprécie énormément Pep Guardiola. En France par contre, je n'ai pas d'entraineur en particulier.

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