Les oubliés : Cheick Diabaté, que deviens-tu ?
Par Kristen Collie
Décrié pour son style de jeu peu académique, Cheick Diabaté a fait preuve d'une résilience admirable pour finalement devenir une icône des Girondins de Bordeaux. Exilé depuis 2018 à l'étranger, après un court passage à Metz, retour sur un parcours qui force le respect, avec le témoignage du twittos girondin Nando Chachalana.
Ses passements de jambes dignes d'une déambulation de marionnette sont entrés dans la légende ! Tout comme son sens du but, qui manque aujourd'hui cruellement aux Girondins de Bordeaux. Cheick Diabaté était l'incarnation même du joueur peu esthétique, mais diablement efficace.
"Un footballeur atypique, à la technique individuelle parfois approximative, au flow légendaire mais redoutable finisseur, se remémore le célèbre twittos girondin Nando Chachalana. Mais surtout, c'est une personnalité ultra attachante dotée d'une mentalité irréprochable : un véritable rayon de soleil dans un groupe."
Les hommes mentent, mais pas les chiffres. Constamment critiqué, souvent injustement, le géant malien est pourtant l'auteur de 123 buts en près de 260 rencontres au cours de sa carrière. De quoi devenir un joueur emblématique de la Ligue 1, et gagner la sympathie de ses détracteurs.
Une difficile acclimatation
Formé à la meilleure académie du Mali : l'emblématique centre Salif Keita, qui a vu passer les meilleurs joueurs du pays, le jeune Cheick est repéré en 2006 par les Girondins de Bordeaux. À 18 ans, il quitte enfin l'Afrique pour assouvir son rêve de devenir footballeur professionnel.
"Il est arrivé dans un groupe qui vivait ensemble depuis quelque temps et ne pouvait pas communiquer avec nous", se souvient son ancien coéquipier aux Girondins Floyd Ayité. Qu'importe, après une année d'acclimatation, il démontre enfin ses qualités, devenant le meilleur buteur de la réserve bordelaise, évoluant en CFA, lors de la saison 2007-2008.
De quoi attirer les regards, notamment de Ligue 2, où de nombreux clubs affichent leur intérêt pour un prêt. L'opportunité parfaite pour le jeune Malien de s'aguerrir.
Le "Jan Koller d'ébène"
Prêté à Ajaccio, il explose enfin au haut-niveau après une saison 2008-2009 ponctuée de 14 buts en 30 rencontres de Ligue 2. Surnommé le "Jan Koller d'ébène", il réussit l'exploit d'être adulé par les supporters corses.
S'imposant comme l'un des plus grands espoirs de l'antichambre de la Ligue 1, il voit en parallèle Bordeaux devenir champion de France. La saison suivante, dans un effectif constellé de talents et bien fourni en attaque (Chamakh, Gouffran, Cavenaghi...) l'international malien est de nouveau prêté, à Nancy en Ligue 1, où il connait un véritable trou d'air (seulement trois matchs disputés).
Les critiques à ses débuts en Gironde
Le premier aperçu de la résilience incomparable de Diabaté : après une saison quasi-vierge en Lorraine, l'attaquant alors âgé de 22 ans revient en Gironde avec la ferme intention d'enfin débuter avec le club au Scapulaire.
Mieux, suite au départ de Marouane Chamakh pour Arsenal, il devient au cours de la saison 2010-2011 le joker offensif de Jean Tigana.
"Il nous donne de la puissance devant le but parce qu'il y est tout le temps. C'est un profil qui m'intéresse parce qu'on peut s'appuyer sur lui pour ressortir. Je compte beaucoup sur lui. "
- Jean Tigana
Le 8 janvier 2011, il marque son premier doublé en 32es de finale de Coupe de France face à Rouen :
"C'est la première fois que je marque dans ce stade dans lequel j'ai toujours eu envie de jouer, s'était-il réjoui. J'ai vécu des galères mais, dans la vie, il y a des moments difficiles et il faut en passer par là pour être costaud mentalement."
Pourtant, malgré ses 6 buts et 2 passes décisives en seulement 18 rencontres, il subit les moqueries et critiques des supporters bordelais, agacés par les piètres prestations de leur club.
L'apogée lors de la saison 2012-2013
Peu importe, le géant malien poursuit son ascension. Sous Francis Gillot, la saison suivante, il gagne en importance et joue plus régulièrement. Auteur de 8 buts et 3 passes décisives en Ligue 1, les supporters commencent progressivement à l'adopter.
"C'est un vrai attaquant, obnubilé par le but, travailleur, point d'appui/pivot très utile, détaille Nando C, suivi par près 34.000 followers sur Twitter. Petit bémol, ses pépins physiques chroniques (genoux principalement mais aussi soucis tendineux) qui l'ont énormément freiné dans sa carrière et sa progression."
La consécration arrive lors de la saison 2012-2013 en Coupe de France. Meilleur buteur de la compétition avec 6 buts, et auteur d'un doublé en finale contre Évian, il offre aux Girondins leur premier titre depuis 2009.
Auteur de 66 buts en 152 matchs avec les Marine et Blanc, avant son départ pour la Turquie en 2016, l'icône Diabaté a assurément laissé une trace indélébile au club.
"Factuellement oui, niveau statistique c'est indéniable. Il peut s'asseoir à la table des meilleurs 9 girondins du 21e siècle avec Pauleta, Chamakh, Cavenaghi, Darcheville et Laslandes."
- Nando Chachalana
Turquie, retour en Ligue 1, Serie A
Fort de 12 buts lors de sa dernière saison au Haillan, le Malien part en quête d'un nouveau défi. Comme de nombreuses gloires africaines, il rejoint la Turquie et le club d'Osmanlispor. Cette première expérience hors des frontières françaises est un échec et pousse Cheick à revenir se ressourcer en France du côté du FC Metz (14 matchs de Ligue 1, 8 buts).
Des performances qui lui ouvrent les portes du Calcio, où il épate la Serie A avec le modeste promu de Benevento. Dans un long entretien accordé à France Football, Cheick Diabaté est revenu sur son premier match en Italie :
C'était contre une équipe (Crotone) où on gagnait 2-1. Il restait dix minutes. L'entraîneur (Roberto De Zerbi, NDLR) voulait faire entrer un défenseur. Avant qu'il entre, l'équipe adverse marque. 2-2. Et, là, le coach se retourne. Il me regarde. Ça faisait un mois que j'étais bien à l'entraînement mais il ne me faisait pas jouer. Il vient vers moi(Il sourit.). Il me demande si je peux accepter de jouer(Il rit.). Ça m'a fait bizarre parce qu'il s'est senti gêné. Je lui ai dit :"Mais bien sûr que je joue, je suis là pour jouer au foot."Il me répond :"Ok, ok, il faut que tu joues."Je rentre, je marque, on gagne."
Quelques semaines plus tard, le natif de Bamako s'attire les louanges de toute la Botte après un doublé contre la Juventus. 11 matchs de Serie A, 8 buts : en une demi-saison, Diabaté réussit l'exploit de se faire un nom dans un des plus prestigieux championnats de la planète football.
La conquête du monde perse
Après un court passage aux Émirats où il enchaîne à nouveau les banderilles, l'éphémère idole du Benevento s'envole pour une autre destination aussi exotique que singulière : l'Iran.
"En Iran, après la religion, c'est le football. "
- Cheick Diabaté, France Foobtall
"Les Iraniens jouent bien au foot ! Le niveau m'a impressionné. Il y a de très bons joueurs, soulignait Diabaté en mars dernier dans les colonnes de France Football. Parfois je pose la question aux joueurs :"Mais pourquoi vous n'avez pas essayé d'aller jouer à l'extérieur, en Europe, pour voir autre chose ?" Les joueurs expliquent comme quoi ce n'est pas facile de partir puisque le pays est un peu fermé. Mais, sinon, ils aiment trop le football ! "
"Ils m'aiment énormément ici, c'est incroyable."
- C. D., France Football
Parmi les meilleurs artilleurs de la Persian Gulf Pro League, depuis son arrivée au mercato estival 2019, celui qui est désormais surnommé "le lion" a, comme à son habitude, conquis le cœur des supporters d'Esteghlal FC :
"Je n'ai pas de regrets. J'ai commencé à jouer, à marquer, et les supporters, ici, c'est impressionnant. Il y a du monde ! Avant les matches, ils scandent mon nom. Je ne parle pas leur langue, mais j'entends juste mon nom. Quand je marque, je fais un geste et quand je le fais, tout le monde crie en même temps. C'est incroyable."
Une belle parenthèse avant un retour en Ligue 1 ?
"J'aimerais bien terminer ma carrière en Europe. Ça peut être en France. Je ne sais pas dans quelle équipe, je ne sais pas à quel niveau. Sincèrement, je me dis que ce n'est pas joli quand même de dire que Cheick Diabaté a terminé sa carrière en Iran. Je ne veux pas ça. Mais bien sûr que j'aimerais bien revenir en France. En France, je me sens bien partout où je vais", annonçait-il dans les colonnes de France Football.
Nul doute qu'un retour à Bordeaux ne ferait pas de mal à l'attaque peu en verve de Jean-Louis Gasset...