Reportage - Les coulisses de la renaissance du SC Bastia
Par Kristen Collie
"Un grand club ne meurt jamais", veut l'adage. Incontournable du paysage footballistique français, le SC Bastia effectue son grand retour au niveau professionnel, ce samedi face à Nîmes (15h), près de quatre ans après son dépôt de bilan. Avant de retrouver la Ligue 2, l'entraîneur Mathieu Chabert et les expérimentés Chaouki Ben Saada et Antony Robic sont revenus avec nous sur cette renaissance.
De l'élite aux abysses en trois actes. 27 mai 2017, le SC Bastia est officiellement relégué en Ligue 2 après une défaite face à l'OM au Vélodrome (1-0). 12 juillet 2017, la DNCG, gendarme financier du football français, rétrograde le club corse en National, la faute à une dette abyssale. 4 août 2017, les pensionnaires de Furiani sont contraints au dépôt de bilan et entament leur reconstruction en National 3.
Une descente aux enfers express, qui ne laissait en rien présager une renaissance aussi prématurée.
"Bastia c’est mon club de cœur et le voir à ce niveau-là me rendait triste."
- Chaouki Ben Saada
Du National 3 à la Ligue 2
Car en l'espace de quatre saisons, le Sporting a réussi l'exploit de retrouver le monde professionnel. Une prouesse portant notamment le sceau du coach Mathieu Chabert, arrivé au club à l'orée de la saison 2019-2020, en provenance de Béziers.
"J’ai accepté ce challenge car c’est un club historique avec beaucoup de potentiel. Entraîner un club aussi connu et populaire, même en National 2, c’est une opportunité qu’il faut savoir saisir, souligne-t-il. C’était un pari qui s’est transformé en belle aventure."
L'emblématique club corse a aussi pu compter sur la fidélité de ses joueurs, à l'image du récent retraité Gilles Cioni, qui est resté au Sporting même après son dépôt de bilan. D'autres figures iconiques du club sont quant à elles revenues, comme Chaouki Ben Saada.
"C’était une évidence pour moi. Bastia c’est mon club de cœur et le voir à ce niveau-là me rendait triste. J’arrivais à un âge où on cherche plus à se poser que des beaux contrats, nous témoigne le milieu offensif de 37 ans, formé au club et qui a connu les belles années en Ligue 1.
Ce challenge de remonter le Sporting au niveau pro, c’est quelque chose qui m’a motivé. Je suis un compétiteur et j’en ai encore sous le capot donc je me suis dit que ce serait bien de les aider au maximum pour qu’il retrouve ce niveau-là."
Pari réussi. Auteur de 5 buts et 4 assists la saison dernière, l'international tunisien (40 sélections) a été l'un des grands artisans du titre de champion de National.
En parallèle de ces anciens restés fidèles à leur île, se sont ajoutés des éléments d'expérience, essentiels aux ambitions prônées par Bastia. Passé par Nancy et Laval, Antony Robic en est l'illustration parfaite.
Meilleur buteur (11 buts) et passeur (8 assists) du club la saison dernière, l'attaquant de 35 ans s'est imposé comme son arme offensive numéro 1.
"Je pense que c’était la plus belle saison de ma carrière avec celle à Nancy où on finit champion de Ligue 2 (en 2016, NDLR), admet-il. À mon âge on le vit différemment, on apprécie beaucoup plus et on se rend compte du travail fourni pour en arriver là. De vivre de tels moments à 35 ans, c’est que du bonheur."
"Une force collective"
Mais au-delà des individualités, c'est surtout la "force collective" de cette équipe qui épate les observateurs.
"J’aime quand on dit de mon équipe qu’elle dégage une force collective. Ça sous-entend qu’elle est coordonnée, rigoureuse avec des principes bien claires et avec beaucoup de sérénité", se targue coach Chabert.
"On n’a pas d’incroyables individualités, même si on a de très bons joueurs, mais c’est vraiment notre force collective qui peut impressionner, confirme Antony Robic.
La victoire contre le Red Star, l’un des favoris, à l’extérieur (3-5, NDLR), a donné le ton. On a marqué les esprits dès le début, poursuit-il. Tout au long de la saison on a eu cette grinta et cette part de chance qui nous ont permis de dominer ce championnat. On mérite vraiment ce titre."
Une "grinta" inculquée par Mathieu Chabert, qui prend pour modèle un certain Diego Simeone :
"J’aime beaucoup. C’est pas forcément génial mais c’est toujours efficace et régulier avec des joueurs pas forcément connus qu’il arrive à faire exploser. Son Atlético est une des équipes qui dégage l’une des plus grosses forces collectives, insiste-t-il, avant d'en dévoiler plus sur sa philosophie de jeu :
On essaye d’avoir la possession du ballon sans en faire une obsession. On se concentre surtout sur nos réactions à la perte de balle. On travaille énormément sur les trois secondes qui suivent la perte et la récupération du ballon."
Le groupe vit bien
L'autre facteur est l'ambiance régnant dans cette équipe. "Il y avait vraiment une ambiance exceptionnelle et on a pris du plaisir sur le terrain tout au long de la saison", met en exergue Ben Saada.
"Dans cette équipe il y a toujours eu un bon état d’esprit, réplique Mathieu Chabert. C’est un groupe très travailleur qui aime beaucoup être ensemble. On est arrivé à mettre en place un état d’esprit où on est content de se retrouver. Quand vous travaillez dans la bonne humeur, ça permet aux joueurs d’assimiler plus facilement nos principes de jeu.
Je parle beaucoup aux joueurs, j’aime échanger avec eux sans être leur copain mais c’est important pour moi ce management participatif, explicite-t-il. On essaie surtout d’être juste. Un groupe vit bien lorsqu’il n’y a pas de sentiment d’injustice. Je suis fier quand je vois que dans mon vestiaire ça respire la bonne humeur, ça rigole, ça joue au ping-pong…"
"Il y a eu très peu de recrues, donc le club a gardé une grosse une ossature des années précédentes et des montées successives. Je suis arrivé dans un groupe soudé avec de la qualité", donne comme autre explication Robic.
L'aura du SC Bastia
Véritable patrimoine corse, le SC Bastia a une résonance singulière dans le football français. Défendre ses couleurs est ainsi un privilège et une fierté.
En tant qu’enfant du club c’est une grande fierté, confirme Ben Saada. C’est mon club de cœur, j'y ai fait plus de 20 ans en licencié. Quand les nouveaux arrivent on essaie de leur expliquer que ce n’est pas un club comme les autres, qu’il y a beaucoup de pression et d’exigences sportives".
"Coacher un club comme Bastia c’est un vrai bonheur. "
- Mathieu Chabert
"Je suis venu ici car je savais ce que représentait le Sporting et j’ai été séduit par leur projet. Je suis très fier d’avoir rejoint ce club et de porter ce maillot, clame Antony Robic, arrivé lors du mercato estival 2020.
Quand mon agent a été en contact avec le coach et qu’ils ont montré leur intérêt, pour moi c’était clair : c’est à Bastia que je voulais être. Le projet, le club, l’histoire, ce qu’il représente… je joue au foot pour la ferveur, connaître des grands clubs avec des ambiances un peu chaudes, tout collait", se souvient-il.
"Coacher un club comme Bastia c’est un vrai bonheur, renchérit Chabert. Surtout quand vous avez des bons résultats. Pour l’instant ce ne sont que de supers moments, mais lorsque le bateau va tanguer, c’est à ce moment-là qu’il va falloir faire nos preuves."
Retrouver le 12ème homme
Contrairement aux saisons précédentes, les Bastiais pourront compter sur l'ambiance de feu du stade Armand-Cesari, plus connu sous le nom de la mythique antre de Furiani.
"Ils font partie des meilleurs supporters de France. "
- Chaouki Ben Saada
"L’ambiance de Furiani c’est ce qui nous manque depuis un an et demi, concède le technicien de 42 ans. On a vécu des supers moments sportifs, mais malheureusement on n’a pas pu les partager comme on l’aurait voulu avec nos supporters. Quand on parle de douzième homme, Furiani c’est exactement ça. Lorsque l’équipe traverse le terrain avec le ballon on ressent comme un souffle qui nous fait avancer."
"Le douzième homme va jouer son rôle et nous transcender pour qu’on donne tout sur le terrain, présage Ben Saada. En France, c’est l’un des clubs où il y a le plus de ferveur, avec une ambiance particulière et beaucoup d’intimidations. Ils font partie des meilleurs supporters de France."
Une ferveur perceptible au-delà des frontières corses : "C’est un club qui est soutenu par toute une île et même sur le continent quand on se déplace. Ça donne envie de mouiller le maillot", conclut parfaitement Antony Robic.
Le maintien comme seul objectif
Le rôle des supporters sera déterminant pour atteindre l'objectif fixé en ce début de saison : le maintien.
"Même si on est encore dans l’euphorie de la montée on n'est plus le Sporting de l’époque, rappelle Ben Saada qui pourrait jouer sa dernière saison avant une retraite bien méritée. On est un jeune promu qui va devoir batailler dur toute la saison."
"On aborde cette saison avec beaucoup de sérénité mais aussi de la méfiance, résume Mathieu Chabert. On a des certitudes, notamment dans le jeu depuis la saison dernière, mais on doit faire preuve d’humilité."
Le coach, passé auparavant par Béziers, a également évoqué le recrutement, séduisant, et rouage essentiel avant d'entamer une saison à l'échelon supérieur :
"On sait qu’on a une équipe très joueuse mais assez inexpérimentée au niveau pro. On a voulu rajouter des éléments aguerris à la Ligue 2 comme Lloyd Palun ou Idriss Saadi, des talents comme Kylian Kaiboué et des petits paris comme Adil Taoui qui vient de Toulouse, très prometteur et on pense que le contexte corse peut lui permettre d’exploser, détaille l'Héraultais.
On recherche encore un ou deux joueurs mais on n’est pas pressé. On a besoin d’un offensif aguerri qui peut jouer aux trois postes devant. Si on y arrive, on sera très bien armé pour atteindre nos objectifs."
Antony Robic, lui, affiche sa confiance, malgré un début de championnat dantesque : "On peut faire une belle saison. On a un gros début de championnat qui nous attend (Nîmes, Nancy, Toulouse, Le Havre lors des 6 premières journées, NDLR) et il faudra bien le commencer. Il faudra afficher les valeurs montrées la saison dernière, avec beaucoup de rigueur, de détermination, d’humilité et jouer avec le cœur."
Du cœur, de la rigueur, un état d'esprit irréprochable, en bref tous les ingrédients qui leur ont permis de retrouver la lumière, après avoir plongés dans les abysses.