Reportage : Riyad Mahrez, les prémices d'un phénomène à Quimper en CFA

Riyad Mahrez a parcouru du chemin depuis son temps à Quimper.
Riyad Mahrez a parcouru du chemin depuis son temps à Quimper. / Briony Painter/90min
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Le parcours de Riyad Mahrez est l'une des plus belles success story du football contemporain. Dans l'impasse totale en région parisienne, le natif de Sarcelles a vogué vers le Finistère en quête d'une opportunité en CFA pour lancer sa carrière.

En exclusivité pour 90min, Ronan Salaün, son ancien entraîneur à Quimper Cornouaille, est revenu sur les prémices du prodige de Manchester City.


"À l’époque il nous affirmait : ‘je jouerai la Coupe du Monde, je jouerai à Barcelone. Ça faisait marrer ses coéquipiers, qui lui disaient 'commence déjà par jouer à Quimper, ce sera déjà bien, se remémore, sourire en coin, Ronan Salaün.

Il était toujours de bonne humeur, tout le temps positif et blagueur, donc on prenait ses propos un peu à la rigolade en se disant qu’il était un peu à l’ouest."

Près de 12 ans plus tard, force est de constater que le jeune Mahrez, 18 ans à l'époque, n'était pas loin de la vérité, avec en point d'orgue cette finale de Ligue des Champions, ce samedi, face à Chelsea.

"On parle d’un joueur qui à 18-19 ans n’avait jamais joué au niveau national. Alors le voir en finale de Champions League et gagner la CAN, c’est un conte de fée. "

Ronan Salaün

Quimper, le point de départ

Et pourtant, le natif de Sarcelles était loin d'être prédestiné à une telle ascension.

Malgré des qualités techniques hors normes, Riyad Mahrez est, comme bon nombre de talents, passé entre les mailles du filet. "Il vient de la région parisienne et personne ne lui a donné sa chance", s'étonne d'ailleurs l'ancien coach de Quimper Cornouaille, aujourd'hui Kerfeunteun, de 2005 à 2010.

Dans l'impasse, le Franco-Algérien s'est donc résolu à enchaîner les essais, parsemant la France et empruntant de l'argent à sa famille.

"Quand Quimper m'a proposé un essai, le billet de train coûtait 160 euros. J'avais dit à ma mère : 'T'inquiète, je vais te les rendre, je vais percer'."

Riyad Mahrez

Direction donc la pointe ouest de l'Hexagone, pour un essai aux allures de dernière chance.

"À l’époque on était en CFA, l’équivalent du National 2 aujourd’hui, et j’avais beaucoup de CV qui arrivaient de joueurs de CFA 2, CFA, National et Ligue 2, plonge dans ses souvenirs le technicien âgé de 52 ans.

Donc je leur ai tous répondu et on a décidé d’organiser un match amical sur Quimper un mercredi après-midi pour les voir à l’œuvre. Le déplacement était à leur charge, car évidemment on n’avait pas forcément les moyens de tous leur payer le voyage."

Parmi tous les prétendants, un seul attire le regard de l'ancien professionnel, passé notamment par les Girondins de Bordeaux et Toulouse :

"Il y a une vingtaine de joueurs qui sont venus, dont Riyad. À la fin du match, j’ai réuni tous les joueurs présents pour leur annoncer que le seul qui a retenu mon attention était Riyad, souligne Ronan Salaün. Il a fallu négocier avec mes dirigeants, car il y avait de nombreux joueurs confirmés, alors que lui c’était un pari."

Contrat fédéral et job d'éducateur

Le rêve de toute une vie commence à prendre forme pour l'Algérien aux pieds d'argent. Même s'il a fallu d'âpres négociations pour le faire signer.

"Au début je lui avais dit que ça allait être compliqué, et il s’était mis à pleurer car c’était un rêve qui s’échappait pour lui. Ça m’avait vraiment touché, se souvient son premier coach en seniors.

"Je me rappelle avoir contacté le Stade Brestois pour le recruter. Je leur ai dit 'prenez ce joueur-là ça ne vous coûte rien' et ils m’ont répondu qu’ils avaient déjà ce qu’il fallait."

Ronan Salaün
Riyad Mahrez et Ronan Salaün.
Riyad Mahrez et Ronan Salaün. / Photo DR

"Au final, j’ai réussi à le faire venir pour la préparation sans le faire signer. Dans un premier temps je lui ai trouvé un stage dans une école à Quimper en tant qu’éducateur afin qu’il soit nourri et logé, révèle son ancien mentor.

C’était compliqué à Quimper car on n’avait pas beaucoup de moyens et on n’avait pas d’arbitre. Il fallait soit le signer en tant qu’amateur, ou alors lui proposer un contrat fédéral. J’ai dû batailler avec mes dirigeants pour les convaincre."

Selon certaines sources, Riyad Mahrez touchait 750€/mois avec ce contrat... Une autre époque.

Une adaptation difficile

Le champion d'Afrique des Nations 2019 ne jouera qu'une saison en Bretagne (2009-2010), avant de naturellement attiser les convoitises. Et pourtant, les premiers mois n'ont pas été flamboyants si l'on se réfère aux propos de Salaün :

"En début de saison, les 3-4 premier mois étaient un peu compliqué, il fallait qu’il s’adapte au niveau CFA, qui était bien plus relevé que le N2 d’aujourd’hui, remarque-t-il. Là où il péchait, c’était sur la discipline tactique. Il venait des U19 de Sarcelles donc il a fallu lui inculquer une rigueur. Parfois je le mettais milieu gauche, je le retrouvais arrière droit à suivre le ballon."

Des consignes et une rigueur nécessaires, qui ont finalement porté leurs fruits :

Mais une fois acclimaté, il s’est imposé et dès janvier il a déjà commencé à taper dans l’œil de gros clubs comme l’OM, le Stade Rennais et Le Havre, qui ont envoyé des émissaires pour le voir jouer."

À la fin de saison, il rebondit au Havre, avec la réserve tout d'abord, avant que sa carrière ne prenne des dimensions insoupçonnées. "Le Havre c’était une évidence. On était parti jouer leur réserve là-bas et il fait un énorme match où il marque deux buts",

"Sur la percussion, on retrouve le Mahrez d’avant"

Évidemment devant sa télévision lors de la demi-finale entre Manchester City et le PSG, les prestations de son ancien protégé, auteur de trois buts sur les deux confrontations, ont ravivé de beaux souvenirs à l'entraîneur quimpérois :

"Sur la percussion, le Mahrez de maintenant est le même que celui d’avant. Déjà à l’époque il avait une incroyable palette de gestes techniques. Mais attention ce n’est plus le même joueur. Il a évidemment énormément progressé, mais on retrouve ses aptitudes, nuance-t-il.

Ce qui m’avait frappé c’était surtout sa percussion. Il était déjà très juste techniquement et capable de dribbler dans les petits périmètres. Il avait ce geste de gaucher et sa justesse de passe, nous décrypte-t-il, avant de mettre en exergue une partie trop négligée de son jeu :

Ce qui m’avait aussi interpellé c’est le côté athlétique. Car même s’il était assez frêle, il pouvait répéter les efforts. Ça m’avait bluffé dès son premier match d’essai avec nous, car je parle de course de rupture? C'est rare pour un joueur offensif, qui effectue en général 3-4 appels par mi-temps. Lui en avait déjà fait une quinzaine."

Un "gros bosseur"

Un talent indéniable, des qualités hors normes, mais, surtout, un état d'esprit irréprochable :

"C’est un gros bosseur. On s’entraînait à 19h et lui était toujours là, à 22h, à faire des frappes. À l’époque c’est moi qui fermais le stade et je devais aller le chercher pour qu'il parte, raconte le coach breton.

C’était un garçon très à l’écoute, qui avait envie de tout découvrir. Dès qu’on le critiquait ou lui donnait un conseil, il prenait tout positivement. Il a cette faculté à emmagasiner beaucoup de conseils et c’est grâce à ça qu’il a autant progressé."

En bref, tous les ingrédients d'un grand champion, qui pourraient le mener vers un sacre dans la plus prestigieuse des compétitions européennes.