Stades de légende : Te souviens-tu... Chaban-Delmas ?
Par Alexandre Roux
Dans quelques années, l'AC Milan et l'Inter Milan détruiront leur historique stade Giuseppe-Meazza pour intégrer une arène flambant neuve. Abandonner son enceinte, c'est faire tomber un pan entier de son histoire. Et de nombreux clubs par le passé ont fait ce choix, dans l'Europe toute entière. Après Highbury et Vicente-Calderon, plongeons aujourd'hui dans les souvenirs... des Girondins de Bordeaux et de son mythique stade Chaban-Delmas !
Dans les années 2010, la direction des Girondins de Bordeaux n'a fait que décevoir ses fans, n'en faisant qu'à sa tête, méprisant toute idée n'allant pas dans leur sens et enchaînant les incohérences majeures. Un esprit qui se retrouve dans l'histoire de l'enceinte dénommée Stade Lescure pendant 63 ans.
Premier match : 12 juin 1938, Brésil vs Tchécoslovaquie
Confier la réalisation des travaux à un architecte rival de celui qui a dessiné les plans, après avoir poussé ce dernier à la démission, voilà le genre de choses qui s'est produit à Lescure. Raoul Jourde était en effet l'homme choisi pour dessiner une arène sportive digne de ce nom à Bordeaux. Son projet, typé art-déco, collait parfaitement à ce que désirait la Ville. Il s'était inspiré du stade d'athlétisme voisin, en plus, pour conserver une harmonie sur l'ensemble du nouveau site dédié au sport.
Mais face aux multiples recours apposés à son égard par la Mairie, il a fini par jeté l'éponge et c'est son rival principal, Jaques d'Welles, qui a pris les opérations en main. L'idée principale et révolutionnaire pour l'époque, à savoir faire des tribunes en béton couvertes sans piliers, a été conservée et d'Welles a fini par obtenir tous les lauriers pour cet édifice, le nom de Jourde n'apparaissant pas sur la plaque inaugurative du stade...
La première rencontre a eu lieu le 12 juin 1938 et, comme pour venger son premier architecte, il a donné lieu à l'une des plus grandes déceptions de l'histoire de la Coupe du Monde. Brésil et Tchécoslovaquie, les deux équipes les plus spectaculaires de l'époque, se sont affrontées pour un quart de finale considéré comme la vraie finale du tournoi. Mais les 22 000 spectateurs ont eu une bataille de tranchées.
Des coups ont été échangés dans tous les sens, trois joueurs se faisant expulsés rien qu'en première période. Planicka et Nejedly, les deux stars tchécoslovaques, ont fini à l'hôpital avec des fractures respectives au bras et à la jambe. Leonidas et Peracio côté Seleçao, Kostalek côté Tchéquie, ont eux aussi été contraints de sortir sur blessure...
L'interminable rencontre s'est bouclée sur un 1-1 après prolongation et a été... rejouée, comme le voulait le règlement à cette époque. Tout ça, pour ça.
Le football n'est qu'une des activités liées au Stade Lescure. L'arène est vraiment conçue comme multi-sports à l'origine. Une gigantesque piste de vélo elliptique et des couloirs d'athlétisme existaient ainsi, jusqu'en 1970. Plusieurs arrivées du Tour de France, deux Coupe du Monde de rugby, des rencontres de boxe, de hockey-sur-gazon et d’innombrables finales du Top 14 ont été accueillies.
Évènement marquant : Une marée orange venue d'Allemagne
Peu de sports lève autant les foules que le ballon rond, et Bordeaux l'a démontré... ou plutôt les supporters qui y sont venus. Le 28 novembre 2013, le déplacement de fans le plus important de l'histoire des Coupes d'Europe à l'époque (finale exclue) est en effet survenue. La rencontre opposait les Girondins à l'Eintracht Francfort, pour la 5e journée de la phase de poules de l'Europa League.
Les deux premiers matchs à domicile de Bordeaux avaient réunis 8.000 et 10.000 spectateurs. Ce jeudi-là, 12.000 personnes, rien que du côté allemand, se sont présentées ! Trois Boeing 757 ont été affrétés par le club, plus 70 bus et autant de minibus. Les 1165 kilomètres de route ont été avalés comme des pintes, sans problème. 500 stadiers, dont 50 venus d'Allemagne, ont été réquisitionnés. La totalité du virage nord a été alloué pour l'Eintracht. Ce qui avait beaucoup amusé le coach de Bordeaux à l'époque, Francis Gillot.
""On n’y peut rien et on ne va pas les empêcher de rentrer. Evidemment, c’est un désavantage pour nous. Peut-être qu’en Allemagne, ils accordent plus d’importance à ces matchs. Francfort n’a pas joué la Coupe d’Europe depuis longtemps, donc il y a un engouement qu’on trouve peut-être un peu moins en France et à Bordeaux."
- Francis Gillot
Dans les trois autres tiers du stade, seulement 6.000 fans bordelais avaient pris place. Sur le terrain, une équipe française remaniée (comme d'habitude en Ligue Europa) s'est inclinée en toute fin de rencontre, concédant une quatrième défaite en cinq matchs.
Il s'agissait là du 100ème match de l'histoire des Girondins à domicile en Coupe d'Europe, leur dernier à ce jour, vécu dans une ambiance exceptionnelle, mais pas grâce à Bordeaux...
Dernier match : 9 mai 2015, Girondins de Bordeaux vs FC Nantes
Cependant, il ne faut pas négliger une entité dans le Stade Lescure : les Ultramarines. Ce groupe de supporters est parmi les plus actifs de France. Pour la dernière rencontre de l'histoire des Girondins dans le renommé Stade Jacques Chaban-Delmas (en 2001), une sacré journée de festivités à ainsi été organisée.
Dès 12 h ce dimanche 9 mai 2015, un rassemblement était prévu Place de la République. Des t-shirts floqués "#AdieuLescure "ont été distribués par milliers, des litres de bières consommés par centaines et des chants entonnés par dizaines. Un cortège d'environ 10.000 personnes a finalement pris forme et défilé dans les rues de la ville, pour rejoindre le stade à 18h. Archi-plein, Chaban-Delmas a enchaîné les tifos pour rendre hommage aux moments légendaires vécus par le club.
Un journaliste de 20 minutes a relevé cette petite phrase d'un fan : "C'est énorme cette journée et cette ambiance, dommage qu'il y ait un Bordeaux-Nantes au milieu." La rencontre a finalement été plutôt spectaculaire, avec un doublé de Diego Rolan, pour arracher une victoire (2-1) malgré l'ouverture du score de Jordan Veretout.
Jusque 1h du matin, concert et célébration ont eu lieu pour un digne au revoir. De 1938 à 2015, les Girondins de Bordeaux ont occupé ce stade (comme club résident à partir de 1958). Ils y ont remporté six titres de champion de France, vécu des soirées européennes inoubliables. Mais ils ont déménagé, à l'autre bout de la Ville, au-delà du périphérique, pour rien...
Qu'est devenu Chaban-Delmas ? C'est toujours un vrai stade, lui...
Quelques jours après le dernier match à Chaban, une partie des supporters bordelais ont découvert le Matmut Atlantique. Le succès populaire n'a en effet pas été au rendez-vous. Si la Ville de Bordeaux a choisi de monter une nouvelle enceinte face à la vétusté de Chaban-Delmas, ce qui se défend, les conditions de financement ont été relativement floues. Par ailleurs, le choix du naming a été particulièrement rejeté par les supporters. La mayonnaise n'a donc pas pris.
Chaban-Delmas est lui devenu l'antre de l'Union Bordeaux-Bègles, le club de rugby majeur en Gironde. Les supporters ont poussé pour récupérer le stade laissé vacant par les Girondins, et ils ont eu gain de cause. Un contrat oblige tout de même l'UBB à disputer ses trois plus grosses affiches de l'année au Matmut Atlantique. Engagement abaissé à un match, devant la pauvreté de l'intérêt des Bordelais pour ce stade...
Depuis 2015, le rugby fait ainsi vivre une seconde jeunesse à Chaban-Delmas. Cette saison, la plus forte affluence du Top 14 est à Bordeaux avec 24.341 spectateurs en moyenne par rencontre. C'est... plus que les Girondins (23 430), qui ne sont que huitièmes en Ligue 1 à ce niveau !
Maintenu tant bien que mal en Première Division ces trois dernières années, l'UBB était en tête du classement en mars avant la pandémie du coronavirus. Depuis, les Girondins ont explosé sur fond de conflit entre direction et Ultramarines. Deux trajectoires complètement différentes, deux succès populaires diamétralement opposés, et l'impression de les voir partager le mauvais stade...