Ses principes de jeu, ses modèles, son parcours... Interview exclusive avec Laurent Bonadei (Partie 2)
- Laurent Bonadei est à la tête de l'Équipe de France féminine depuis le mois d'août dernier.
- Le sélectionneur tricolore s'est confié en exclusivité à 90min.
- Dans cette deuxième partie de l'interview, il est revenu sur ses principes de jeu, ses modèles ou encore son envie de devenir entraîneur.
Pour prendre la suite d'Hervé Renard à la tête de l'Équipe de France féminine, c'est Laurent Bonadei qui a été choisi au mois d'août dernier. Le sélectionneur tricolore se présente face à un grand défi : aider les Bleues à aller chercher un premier grand titre. Il a d'ailleurs accepté de se confier en exclusivité à 90min.
Après une première partie d'interview autour de son nouveau poste, publiée fin décembre sur notre site, Laurent Bonadei est, cette fois-ci, revenu sur sa personnalité, ses principes de jeu, ses modèles, mais aussi les valeurs qu'il souhaite transmettre ou encore son parcours... Entretien.
90min - Comment vous définiriez-vous en tant que manager ?
Laurent Bonadei - Je suis un manager moderne. J'ai évolué avec mon temps, avec les générations. J'entraîne depuis plus de 20 ans. Depuis le début, j'ai toujours gardé les mêmes principes : être authentique, juste et sincère avec les joueurs ou les joueuses. Le tout en apportant de l'importance à la relation humaine.
Je suis aussi dans la concertation et dans l'échange d'idées avec mon staff. J'ai confiance en mon équipe et je peux déléguer, pour que chacun se sente utile et important. Avec ma hiérarchie, je suis une force de proposition, pour faire avancer les projets.
Je suis également un manager qui sait dire quand il y a des choses à améliorer, mais qui sait aussi encourager et dire quand c'est bien. J'ai besoin d'avoir, autour de moi, des personnes qui sont capables de m'apporter une critique et d'accepter la critique. Je considère que la critique est constructive et qu'elle permet de progresser. Je suis toujours à la recherche de nouvelles méthodologies et je suis curieux de ce qui se fait ailleurs.
90min - Quels liens entretenez-vous avec vos joueurs et vos joueuses ? Par exemple, récemment, il y a eu la prolongation de Selma Bacha à l'OL. Est-ce que vous avez pu lui envoyer un message ? À l'opposé, Grace Geyoro a connu une période délicate au PSG. Avez-vous pu la joindre ?
L.B - Quand j'ai vu que Selma (ndlr : Bacha) avait prolongé, j'étais heureux. Je l'étais pour elle, mais aussi pour l'OL. C'est un grand club du football féminin français. J'étais content également pour l'Équipe de France et le football français. Il y a eu la création de la ligue professionnelle de football récemment et je dirai que pour un club comme l'OL, le meilleur recrutement, c'est déjà de garder ses meilleurs éléments.
Surtout quand on sait que le pouvoir attractif financier peut être plus important ailleurs. Je lui ai envoyé un petit message et on a échangé. Je suis en contact régulier avec les joueuses. C'est important de leur montrer que je suis là dans les bons moments, comme ce fut le cas avec Selma, mais aussi dans les moments plus difficiles.
J'ai eu l'occasion d'envoyer des messages à Estelle Cascarino aussi. Malheureusement, elle s'est rompu le ligament croisé et elle est dans une période compliquée. J'ai essayé de garder le lien avec elle, pour lui montrer que je suis là dans les moments qui sont plus durs. C'est la même chose pour Grace (ndlr : Geyoro). Avec elle, j'ai été exigeant lors des rassemblements. Je lui ai dit que je ne la lâcherais pas d'un côté, alors je ne l'ai pas lâché quand elle a vécu ces moments un peu difficiles.
Je l'ai fait en allant la voir, en passant du temps avec elle au téléphone ou au travers de messages. C'est une génération qui est plus connectée. Comme nous d'ailleurs. On parle d'une nouvelle génération qui est plus connectée, mais nous aussi, on est plus connectés. Il reste important d'utiliser tous les canaux de communication pour leur apporter du soutien, de la bonne humeur. Mais aussi pour leur dire qu'elles ne sont pas seules et qu'on est là aussi dans les bons moments et dans les moments plus compliqués.
90min - Pouvez-vous nous décrire vos principes de jeu ?
L.B - Ce sont des principes que j'ai depuis le début. Quand on est entraîneur, on a une filière privilégiée. Au fur et à mesure, on peut difficilement se changer, mais on peut faire progresser son projet de jeu. Mes principes, ils sont basés sur un jeu de possession et mettre en place un pressing intense à la perte du ballon.
Il faut savoir bien utiliser la largeur et surtout apporter des changements de rythme, avec et sans ballon, dans la verticalité. Avoir une construction d'un jeu collectif assez simple. Le plus simple possible dans la phase de construction. Puis permettre à chacun de montrer tout son talent et d'oser tout ce qu'il est possible d'oser dans la zone de finition.
Je souhaite aller chercher des supériorités numériques dans des zones dans lesquelles on peut poser des problèmes à l'adversaire. Le tout en gardant un équilibre défensif / offensif le plus cohérent possible. Effectivement, parfois, quand on veut marquer des buts dans le football d'aujourd'hui, il faut accepter d'être en déséquilibre. Quand on est en déséquilibre, l'adversaire peut en profiter. Il faut donc garder confiance dans ses principes de jeu, même si de temps en temps, on peut connaître quelques mésaventures.
90min - Quels sont les entraîneurs qui vous inspirent, ou qui vont ont inspiré, que ce soit dans le management, mais aussi dans la tactique ?
L.B - Quand on est joueur, et qu'on se prépare à devenir entraîneur, on est curieux, on regarde des matchs et on s'inspire des meilleurs entraîneurs. Des entraîneurs qui ont réussi. Dans ma jeunesse, j'ai été assez impressionné par la tactique et la stratégie d'Arrigo Sacchi du grand Milan. Il m'a beaucoup inspiré. Je l'ai aussi été par l'équipe de Johan Cruyff de Barcelone et celle de l'Ajax de Louis van Gaal. C'étaient les grandes tendances de ce qui allait me forger en tant qu'entraîneur.
Après, j'ai eu la chance de côtoyer Carlo Ancelotti lorsqu'il travaillait au PSG. Il a été une vraie source d'inspiration, grâce à son management, ses relations humaines et sa façon d'être et de s'intégrer dans un club. Il communiquait avec les différentes composantes du club. Pour avoir gardé contact avec lui et son staff, et pour l'avoir vu en action à Madrid, je trouve qu'il a une attitude de manager très respectable.
On sent que du meilleur joueur de son équipe au dernier remplaçant, il y a beaucoup de respect de sa part envers les joueurs, mais aussi des joueurs envers lui. Quand on a affaire à un groupe et à des egos, et à des joueuses ou des joueurs de grande qualité, le plus important, c'est qu'il y ait un respect et une reconnaissance des compétences.
90min - Très rapidement, dès l'âge de 25 ans, vous avez passé vos premiers diplômes pour devenir entraîneur. Comment s'est manifestée cette envie ?
L.B - C'est quelque chose qui est venu assez tôt. Quand j'étais stagiaire pro à Grenoble, j'avais 19 ou 20 ans, on allait le mercredi après-midi animer les entraînements de l'école de foot. Le fait de voir ces enfants les yeux émerveillés et à l'écoute a conforté cette vocation en moi. J'ai continué à passer mes diplômes pendant que j'étais joueur.
Dans ma vie, j'ai toujours eu le souci de me dire que la carrière de joueur avait une certaine durée et qu'il fallait aussi préparer l'avenir. J’ai obtenu mon BEF à 25 ans (BEES 1 à l’époque), puis le DES à 28 ans (DEF à l’époque) et mon BEFF à 34 ans (Certificat de Formateur).
Cette envie a été présente tout au long de ma carrière de joueur. Je me suis intéressé aux différentes formations d'entraîneur. En tant que joueur, c'était bénéfique pour moi. Je comprenais un peu mieux les exercices qui étaient mis en place de la part de mes entraîneurs. C'est un long processus, mais je dirais que c'est surtout la vocation de transmettre des choses, de partager un vécu, une expertise, une expérience qui m'a poussé à devenir entraîneur.
90min - On vous sait extrêmement loyal. On a pu le voir avec Hervé Renard notamment. Quelles sont les principales valeurs qui vous animent et que vous cherchez à véhiculer auprès de vos proches, mais aussi de vos joueurs ou de vos joueuses ?
L.B - Avant tout, dans la vie, il faut être heureux. C'est donc déjà de faire aux autres ce que l'on aimerait bien que l'on vous fasse. Je me comporte avec mes amis, ma famille et mes joueuses de la même manière. J'essaye de me demander ce qui ferait plaisir à telle personne à tel moment, dans telle situation, si j'étais à sa place. Je veux être bienveillant, m'intéresser à l'autre et savoir quels sont ses besoins. À partir de là, si j'ai la possibilité de faire en sorte que cette personne soit heureuse, de tout mettre en œuvre pour qu'elle le soit.
90min - Être le sélectionneur de l'équipe de France féminine lorsqu'on est le père de trois filles, qu'est-ce que ça vous inspire ?
L.B - C'est peut-être mon destin. J'ai trois filles et je n'ai pas de fils. J'ai deux sœurs et je n'ai pas de frères. Quelque part, j'ai été un peu conditionné à ça. Je sais aussi, pour vivre au quotidien avec mes filles, quelles peuvent être les périodes un peu difficiles ou cruciales qu'elles peuvent rencontrer au travers de ce qu'une femme peut vivre dans un mois. Cela me permet d'être parfois plus dans l'observation ou plus dans l'action et de mieux les comprendre.
Pour moi déjà, c'est une fierté, un honneur, d'être sélectionneur de l'Équipe de France. C'est aussi un bonheur parce que c'est beaucoup de responsabilités, mais c'est aussi partager et vivre des émotions intenses avec des personnes qui ont des valeurs. Plus je suis avec des gens qui partagent mes valeurs, plus je suis heureux et mieux c'est.
90min - Vous avez eu la chance d'entraîner de nombreux grands joueurs, notamment lors de votre parcours chez les jeunes. Quel joueur constitue aujourd'hui votre plus grande fierté ?
L.B - C'est une question délicate. C'est vrai que j'ai eu l'occasion d'en côtoyer un certain nombre. Quand on fait 16 ans à la formation, forcément, c'est un long processus. Chaque année, on a entre 20 et 25 joueurs à accompagner. Ce n'est pas uniquement former, c'est éduquer, conseiller. C'est aussi savoir dire des choses qui ne sont pas toujours agréables à entendre. Ressortir comme ça un joueur, ce n'est pas facile.
Cela voudrait dire qu'il est différent des autres. Ils ont tous eu leurs différences. À chaque période, et dans chaque club, chaque joueur a eu son propre parcours. Il y a eu des joueurs qui sont partis de plus loin. Ils avaient peut-être un peu moins de talent au départ, mais, à force de travail, ils ont réussi à faire une belle carrière.
J'ai eu aussi des joueurs, notamment quand j'étais à Nice, qui étaient en post-formation. Ils redescendaient du groupe professionnel, pour certains, et vivaient des moments difficiles. Je dirais que je suis fier de tous. Que ce soit Anthony Modeste, en passant par Malik Tchokounté, qui est à Laval aujourd'hui. Mais aussi Presnel Kimpembe du PSG, ou Saïd Benrahma que j'ai connu à Nice, en passant par Romain Perraud, Kingsley Coman, Alfred N'Diaye...
C'est difficile d'en ressortir un, parce qu'ils m'ont tellement tous apporté. Il y a ceux qui ont suivi un parcours qui semblait être une évidence, comme des Mike Maignan ou Adrien Rabiot. Il y a ceux qui sont partis de plus loin, comme Evann Guessand par exemple à Nice. Je suis fier de tous ces joueurs en fait.
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